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15 mai 2016 7 15 /05 /mai /2016 21:06

 

 

   

 

François Dubois : Le Massacre de la Saint-Barthéle

 Le massacre de la Saint-Barthélémy 1572 

 

 

Tableau de François Dubois (1529-1584),  peintre protestant qui a échappé au massacre.

 

 

 

 

RQ : sujet de synthèse sur de nombreuses notions du programme : autrui, l'inconscient, la culture, la société,les échanges  la politique. Il faut de bonnes connaissances pour éviter de le traiter de manière purement psychologique, ce que ne manquent pas de faire trois quart des copies ...

Sujet difficile aussi en raison de  la subtilité liée au complément du nom : la peur de l'autre désigne aussi bien la peur que j'ai de l'autre que celle qu'il a de moi . Il ne faut pas oublier qu'ici,   l'ambivalence du statut grammatical du CDN,  sujet et objet,  est riche de sens puisqu'avant de vaincre la peur de l'autre, il faut vaincre la sienne, celle qu'on a de lui et qui engendre la première !

 

 

 

Peut-on vaincre la peur de l’autre ?

La peur est une émotion utile face au danger . Cependant la peur n’a pas pour origine la raison mais la passion et c’est pourquoi, la peur de l’autre est détestable car elle nous empêche d’établir une relation de confiance et d’amitié nécessaires pour vivre avec autrui . C’est la peur de l’autre qui finalement constitue le plus grand danger : celui d’engendrer la violence. Aussi se demander si l’on peut vaincre la peur de l’autre réclame une réponse urgente. ( Pourquoi le sujet se pose et écriture du sujet tel qu’il est posé, au style direct ou indirect, mais sans changer aucun mot. )

A priori, la peur de l’autre n’est peut-être pas originelle : « la détresse infantile » exige que l’autre ou même les autres nous aient d’abord protégé des autres dangers ! Toutefois, la finitude de l’homme n’entache-t-elle pas de négativités ses relations les plus intenses ? La trahison, l’égoïsme, l’habitude même, ne nous font-elle pas comprendre que toute relation intersubjective est menacée de mort ? La peur de l’autre, ma peur autant que la sienne ne sont –elles pas justifiées et la méfiance généralisée . ( recherche du paradoxe)

Le problème est donc de savoir pourquoi bien qu’étant par nature des êtres sociaux, des « animaux politiques », nous pouvons penser que l’autre constitue un danger pour nous et nous pour lui . L’enjeu est politique aussi bien que moral, il concerne aussi bien les relations publiques que les relations privées, car si nous échouons à surmonter nos peurs réciproques nous ne pouvons former que des communautés fondées sur la peur voire sur la terreur .

( problème et enjeu)

 

 

 

1 l’homme est « un animal politique » .

1.1 Sur le plan privé ou ontogénétiquement : dépendance totale de l’enfant protégé par les adultes.

a) Importance de la mère et de la fusion maternelle avant et après la naissance .

b) Il en découle que l’enfant fait spontanément confiance aux adultes, confiance indispensable pour son éducation - mais immense responsabilité pour les éducateurs et, en effet, danger des éducateurs mal éduqués .

 

1.2 Sur le plan social et anthropologique : il n’y a pas d’homme qui n’appartienne à une communauté : nous entretenons des relations de dépendances réciproques avec les autres par la nécessité des échanges de toute nature : familiaux, sociaux, économiques .

 

 

T° Aussi bien sur le plan privé que sur le plan politique, la peur de l’autre est pourtant un fait inévitable .

 

 

2 L’inévitable peur de l’autre :

2.1 sur le plan privé, (ontogenèse) : La déception : la mère n’est pas si bonne et la relation au père va être « ambivalente », en débouchant sur  le « complexe paternel » . Dans l’ Avenir d’une illusion ( oeuvre étudiée cette année en TES)  ch 4 : Freud montre que l’enfant le désire, l’admire mais le craint parce qu’il est le rival et qu'il impose sa loi .

 

2.2 Philosophiquement, la relation à autrui est caractérisé par le conflit :

a) analyse du désir de reconnaissance :  la lutte pour la reconnaissance est une lutte à mort .

b) analyse du regard .

c) échec inévitable de l’amour : l’amant veut posséder une liberté comme liberté . : la trahison, l’infidélité.

 

RQ : ce ne sont que des proposistions de thèses, on  n'est pas obligé de tout dire mais les références permettent d'aller plus loin et de montrer que les 120 heures de cours d'une année de philo en TES servent à quelque chose ...

 

2.3 Sur le plan social : le cortège des passions sociales issues de "l'amour propre" : envie, jalousie, rivalités . ( « l’insociable sociabilité », dont parle Kant dans Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique constitue le moteur de l’histoire mais est moralement condamnables ) et dans l’Avenir d’une illusion : Freud rappelle que les hommes n’ont pas perdu leur nature asociale, que la culture s’est imposée sur la répression des pulsions ( inceste, cannibalisme et soif de destruction ) ch 2 .

La religion a une triple tâche : « conjurer les frayeurs que suscite la nature, nous réconcilier avec la cruauté du destin, particulièrement tel qu’il nous apparaît dans la mort, et nous dédommager des souffrances et des privations que la vie culturelle partagée impose aux hommes. » ch 3 p 25 (éd hatier poche.)

 

2.4 Sur le plan politique : la peur de l'autre engendre le règne de la violence

a) entre gouvernés et gouvernants :

risque  du règne de la Terreur pour les premiers , d’émeutes, de guerres civiles, pour les seconds .

b) entre citoyens et non citoyens ( esclaves, étrangers…)

ethnocentrisme, racisme, d’un côté, multiculturalisme de l’autre .

 

 

T° Victoire sur la peur ? A quelles conditions ?

 

 

 

3 La nécessité de reconnaître et d’instituer l’égalité :

 

 

3.1 Dans les relations privées : l’amitié réclame l’égalité, l’amour oblatif étant don de soi va au delà de cette exigence . 

 

3.2 Dans les relations publiques :

a) la politesse comme forme extérieure du respect de l’autre permet des relations formelles mais pacifiées et pacifiantes : la peur de l’autre entraîne souvent, a contrario, de la violence .

b) Le respect des obligations : relations de travail, contrats de toutes sortes . Nous devons faire crédit aux autres au propre comme au figuré !

ex : "In God we trusr" sur les dollars, formule qui ne relève pas du cynisme mais qui rappelle le sens de cette monnaie fiduciaire .

 

3.3 Sur le plan politique : Nécessité d’un Contrat qui supprime la peur des uns et des autres ( gouvernants / gouvernés ) terreur, arbitraire, sédition, coup d’Etat par la réunion des 2 et l’affirmation de l’égale dignité des hommes.

 

 

 

Conclusion :

A la question de savoir si nous pouvons vaincre la peur de l’autre nous avons dû reconnaître que la nature humaine n’est pas entièrement rationnelle : les pulsions, la jalousie, la rivalité sont toujours présentes et menacent toujours les relations que nous entretenons avec autrui, cela constitue même une des plus grandes souffrances comme le rappelle Freud . Mais nous pouvons espérer, qu’au moins collectivement, nous soyons capables d’instituer des conditions politiques et sociales qui rendent possible la sublimation de nos pulsions puisque nous sommes aussi raison .

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25 novembre 2015 3 25 /11 /novembre /2015 12:04

 

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f3/Gustav_Klimt_016.jpgKLIMT, le Baiser 1905

 

Que serais-je sans toi ?

 

 

 

 A l’heure où le couple n’a jamais été aussi célébré, où « e-darling », « meetics » et autres speed-dating  cherchent à nous faire rencontrer l’âme sœur,  près d’un mariage sur deux se solde par un divorce !  La relation amoureuse et conjugale est entrée dans une phase de turbulences qui semble inévitable . Tout se passe comme si la relation conjugale ne pouvait  survivre à la fin de la relation amoureuse, qui, chacun le sait désormais, « ne dure que trois ans » .  Dès lors, la question du poète « Que serais-je sans toi ? » , n'est-elle pas désabusée , n'exprime-t-elle pas  autre chose qu'un mal être passager bien vite dépassé par une autre conquête sur le net  ?

Il s’agit de se demander si, en 2015, l’amour peut ne pas être désenchanté . Le poète suggère que sans la présence d’autrui et surtout sans la présence de l’être aimé,  je ne suis rien , je ne suis pas . Mais faut-il prendre cette expression au sérieux ? En quel sens dit-on que je ne suis rien ? L’expression a-t-elle un sens aujourd’hui  ?  N’y-t-il pas de l’excès  et de la démesure  dans cette formule ? Mourir d’aimer n’est-ce pas le plus souvent juste  métaphorique ? A priori, la rencontre amoureuse , les premiers regards, les premiers émois sont gages d’une vie heureuse et pleine de sens dont font part les romans et les films destinés aux adolescents . Pourtant, dans la littérature réputée plus sérieuse, l’amour  ne se termine –t-il pas toujours plus ou moins  tragiquement ? Qui pis est, dans la « vraie vie », l’amour ne s’achève-t-il pas  par le désamour  sans que pour autant nous en mourrions ?  La présence de l’aimé(e) et de son amour sont-ils indispensables à mon être  ?  Ne puis-je pas être sans l’autre ? Mon existence n’est-elle pas indépendante de la présence d’autrui et  a fortiori de son amour ?  Ne suis-je pas plus authentiquement moi-même sans lui ?

Le problème concerne  la relation entre « toi » et « moi »   : est-ce que tu me fais  vraiment être ? Dois-je considérer que ta  présence comme ce qui me fait être et ton absence comme mortifère  ou au contraire , dois-je assumer que ta présence  et ton amour sont toujours déjà minés par l’usure et qu’en fin de compte je serais bien plus « moi » sans « toi » ? Si on considère que sans autrui et son amour  je ne suis rien alors je me pense d’abord par rapport à autrui mais je risque d’être sous sa dépendance , de subir sa domination et à la limite de me faire chose sans respecter ma propre subjectivité . Si on considère, au contraire,  que la présence de l’être aimé(e) est contingente et que notre relation, tout comme les objets du quotidien, est programmée pour l’obsolescence,  alors je peux affirmer mon indépendance et ma liberté mais je risque d’être incapable de promesse et d’engagement . Il s’agirait de savoir  si l’on peut penser une relation harmonieuse entre « toi » et « moi » pour que nous restions autonomes jusque dans l’amour et que nous ne renoncions pas à  nous promettre fidélité  . En fin de compte, nous retrouvons là un problème devenu classique qui peut nous  aider à penser le couple du 21 ème siècle : comment briser le solipsisme sans obligatoirement rentrer dans le conflit des subjectivités ?

 

 

 

 

 

1 je me pose dans l’existence par un acte de mise à distance   :

 

 

 

                                    1.1 Ontologiquement : La découverte de mon existence est première et s’effectue dans un acte  solitaire . Autrui n’est même pas absent au sens où l’absence n’est pas rien pour une conscience . Il n’est pas .  Il y a un « je » sans « tu ».  D’ailleurs DESCARTES ne prend même pas la peine de le mentionner . Les autres hommes font tout simplement  partie  du monde extérieur dont la réalité est révoquée en premier !  La seule altérité  rencontrée dans l’épreuve du doute c’est celle du Malin Génie , mais ce n’est pas un « tu » , juste un « Il » destiné à être disqualifié .  Il est à remarquer que le Tout Autre se rencontre dans ma conscience pour peu que mon esprit s’applique à considérer ses objets .

 

 

 

 

                                    1.2 Epistémologiquement :  je pense autrui à partir de moi . « je juge que ce sont des hommes comme moi. » DESCARTES

 

 

 Texte n°1 :

« d’où je voudrais presque conclure, que l’on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l’esprit, si par hasard je ne regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois- je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? Mais je juge que ce sont de vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. »

 

 

 

           

 

T°  Si l’on radicalise une telle thèse , on aboutit à un non sens anthropologique :  c’est  impossible je dépends d’autrui : un monde sans autrui serait un monde inhumain . J’y perdrais la conscience de mon identité d’humain .  

Texte n° 2

La solitude n’est pas une situation immuable où je me trouverais plongé depuis mon naufrage(...)

c’est un milieu corrosif qui agit sur moi lentement, mais sans relâche et dans un sens purement destructif. Le premier jour, je transitais entre deux sociétés humaines également imaginaires: l’équipage disparu et les habitants de l’île, car je la croyais peuplée. J’étais encore tout chaud de mes contacts avec mes compagnons de bord. Je poursuivais imaginairement le dialogue interrompu par la catastrophe. Et puis l’île s’est révélée déserte. J’avançai dans un paysage sans âme qui vive.(...) Dès lors je suis avec une horrible fascination le processus de déshumanisation dont je sens en moi l’inexorable travail. Je sais maintenant que chaque homme porte en lui -et comme au-dessus de lui- un fragile et complexe échafaudage d’habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s’est formé et continue à se transformés par les attouchements perpétuels de ses semblables. Privée de sève, cette délicate et fragile efflorescence s’étiole et se désagrège. Autrui, pièce maîtresse de mon univers...Je mesure chaque jour ce que je lui devais en enregistrant de nouvelles fissures dans mon édifice

personnel. Je sais ce que je risquerais en perdant l’usage de la parole, et je combats de toute l’ardeur de mon angoisse cette suprême déchéance. Mais mes relations avec les choses se trouvent elles-mêmes dénaturées par ma solitude. Lorsqu’un peintre ou un graveur introduit des personnages dans un paysage ou à proximité d’un monument, ce n’est pas par goût de l’accessoire. Les personnages donnent l’échelle et, ce qui importe davantage encore, ils

constituent des points de vue possibles qui ajoutent au point de vue réel de l’observateur d’indispensablesvirtualités.

A Speranza, il n’y a qu’un point de vue, le mien, dépouillé de toute virtualité. Et ce dépouillement nes’est pas fait en un jour. Au début, par un automatisme inconscient, je projetais des observateurs possibles -des paramètres- au sommet des collines, derrière tel rocher ou dans les branches de tel arbre. L’île se trouvait ainsi quadrillée par un réseau d’interpolations et d’extrapolations qui la différenciait et la douait d’intelligibilité. Ainsi fait tout homme normal dans une situation normale. Je n’ai pris conscience de cette fonction -comme de bien d’autres- qu’à mesure qu’elle se dégradait en moi. Aujourd’hui, c’est chose faite. Ma vision de l’île est réduite à elle-même. Ce que je n’en vois pas est un inconnu absolu. Partout où je ne suis pas règne une nuit insondable(...) Maintenant, c’en est fait, les ténèbres m’environnent.

Et ma solitude n’attaque pas que l’intelligibilité des choses. Elle mine jusqu’au fondement même de leur existence. De plus en plus, je suis assailli de doutes sur la véracité du témoignage de mes sens. Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne pas vaciller que d’autres

que moi la foulent. Contre l’illusion d’optique, le mirage, l’hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, ledélire, le trouble de l’audition... le rempart le plus sûr, c’est notre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu’un, grands dieux, quelqu’un!

Michel  TOURNIER : Vendredi ou les limbes du Pacifique  

 

 

 

 2 on ne se pose qu’en s’opposant :

 

 

 

                                    2.1 Exister, c’est être reconnu par autrui :

 

                        Ontologiquement la cs est désir et le désir le plus fondamental n’est pas un désir d’avoir mais un désir d’être , d’être reconnu : dialectique du Maître et de l’Esclave .

 

                                    2.2 Une telle représentation de la relation à autrui ne rend-elle pas inévitable le conflit ? Les inoubliables lignes de SARTRE sur le regard ne montrent –elles pas que le regard de l’autre , loin d’être rassurant est inquiétant . Autrui me regarde , il peut , d’un regard m’anéantir ou me faire honte . On dira qu’un regard est aussi bienveillant mais là n’est pas la question . En tant qu’autrui , par son regard me révèle ce que je suis, il me tient à sa portée . Je suis comme autrui me voit . Certes , il peut m’encourager : le regard  bienveillant  du pédagogue peut faire sortir les talents mais  le maître blasé obtiendra aussi ce qu’il voit !  Je suis à sa merci  et puisque j’ai « été enfant avant que d’être homme », mon être est largement  constitué par le regard d’autrui posé sur moi  . Cette puissance du regard c’est celle d’engendrer des êtres définis par l’altérité .

 

texte n°3

« Ce n’est jamais quand des yeux vous regardent qu’on peut les trouver beaux ou laids, qu’on peut remarquer leur couleur . Le regard d’autrui masque ses yeux , ils semblent aller devant eux (…) C’est que percevoir , c’est regarder, et saisir un regard n’est pas appréhender un objet-regard dans le monde(à moins que ce regard ne soit pas dirigé sur nous) , c’est prendre conscience d’être regardé . » SARTRE l’Etre et le Néant p 304-5

 

 

Conséquences :

Aliénation du dominé :                        

a)    « Le juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif » .SARTRE Réflexions sur la question juive .

 

b)  « On ne naît pas femme, on le devient. » S de BEAUVOIR , le deuxième sexe .

 

RQ :Le féminisme ne rend-il pas impossible l’amour en déclarant  dès l’origine la guerre des sexes ? le romantisme ne sera-t-il pas suspect de n’être qu’un discours idéologique où la femme est tour à tour séductrice ou fragile , en tout cas au service de la domination masculine ? Il suffit de voir au fond ce que devient l’amour dans un monde où les cs s’affrontent jusque dans l’amour …    Dès lors la question d’ARAGON n’est-elle pas passée de mode ?

 

 Aliénation du dominant :

 

  b) Le maître : l’impasse de l’identification : tout comme pour le Maître de la dialectique, la reification de l’autre me reifie . En amenant l’autre à se soumettre , à se faire chose, à avoir une essence de juif ou de femme , il s’est fait dans le même mouvement chose  . S’il y a un Noir , un juif ou une femme , c’est parce qu’il y a un homme qui s’identifie lui-même à une essence : à une race , à un sexe ou à une religion . L’aliénation n’est rendue possible que parce que le dominant s’est refusé à lui-même la cs de soi qui est non-coincïdence à soi .

 

texte N° 6

Nous sommes en mesure, à présent, de le comprendre [l'antisémite]. C'est un homme qui a peur. Non des juifs, certes : de lui-même, de sa conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la société et du monde ; de tout sauf des juifs. C'est un lâche qui ne peut s'avouer sa lâcheté ; un assassin qui refoule et censure sa tendance au meurtre sans pouvoir la réfréner et qui, pourtant, n'ose tuer qu'en effigie ou dans l'anonymat d'une foule ; un mécontent qui n'ose se révolter de peur des conséquences de sa révolte. En adhérant à l'antisémitisme, il n'adopte pas simplement une opinion, il se choisit comme personne. Il choisit la permanence et l'impénétrabilité de la pierre, l'irresponsabilité totale du guerrier qui obéit à ses chefs, et il n'a pas de chef. Il choisit de ne rien acquérir, de ne rien mériter, mais que tout lui soit donné de naissance - et il n'est pas noble. Il choisit enfin que le Bien soit tout fait, hors de question, hors d'atteinte, il n'ose le regarder de peur d'être amené à le contester et à en chercher un autre. Le Juif n'est ici qu'un prétexte : ailleurs, on se servira du nègre, ailleurs du jaune. Son existence permet simplement à l'antisémite d'étouffer dans l'oeuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée dans le monde, qu'elle l'attendait et qu'il a, de tradition, le droit de l'occuper. L'antisémitisme, en un mot, c'est la peur devant la condition humaine. L'antisémite est l'homme qui veut être roc impitoyable, torrent furieux, foudre dévastatrice : tout sauf un homme".

 

Jean-Paul Sartre réflexions sur la question juive (1943)

 

 

 

 

 2.3 Et l’amour ?  Ne nous permet-il pas d’échapper à une relation de maîtrise et de servitude avec autrui sans tomber dans l’aliénation ? Il n’en est rien et loin d’instaurer une rapport privilégié à autrui n’est-il qu’un cas grossissant de ce schéma et révèle les difficultés dans notre rapport aux autres .  

:

 

 

 

Quel est le projet de l’amour ?

 

1 Nous ne voulons pas posséder un corps, nous voulons un esprit ! 

Si nous pouvions nous contenter de la possession du corps, on assimilerait le désir amoureux au besoin sexuel,  le résultat limiterait fort la production littéraire !  Et, à, la limite le viol serait la finalité nécessaire et suffisante du projet de l'amour.

L'amour ne se contente pas du corps: " On n'aime pas une folle, sinon en tant qu'on l'a aimée avant sa folie" .

 

 Lisons SARTRE :

« Cette notion de « propriété » par quoi on explique si souvent l’amour ne saurait être première, en effet.  Pourquoi voudrai-je m’approprier autrui si ce n’est si ce n’était justement en tant qu’Autrui  me fait être ? Mais cela implique justement un certain mode d’appropriation : c’est de la liberté de l’autre en tant que telle que nous voulons nous emparer. Et non par volonté de puissance : le tyran se moque de l’amour ; il se contente de la peur. S’il recherche l’amour de ses sujets c’est par politique et s’il trouve un moyen plus économique de les asservir, il l’adopte aussitôt. »

 

Désirer en effet c’est potentiellement nier, absorber en soi car le désir est souvent défini comme manque . Je désire mettre fin à ce manque . Mais si je crois mettre fin à ce manque en m’emparant d’autrui comme d’une chose, et notamment au travers de son corps, je suis déçue . 

 

Je ne peux donc le désirer que si je ne le nie pas comme conscience ou comme liberté.

 

Toute la signification mais aussi toute la difficulté de l’amour viennent de là !

Nous ne voulons pas qu’autrui nous offre son corps mais qu’il nous reconnaisse dans notre amour. Autrement dit nous voulons être aimé en retour .  Aimer c’est vouloir être aimé parce qu’autrui nous fait être , il nous donne notre identité, il semble même justifier mon existence .Si on m’aime, c’est que je suis , tel est le cogito amoureux !

 

2 Mais nous ne voulons pas posséder un esprit comme on possède une chose !

Nous voulons capturer une liberté comme liberté !

 

Texte

 Il arrive qu'un asservissement total de l'être aimé tue l'amour de l'amant. Le but est dépassé : l'amant se retrouve seul si l'aimé s'est transformé en automate. Ainsi l'amant ne désire-t-il pas posséder l'aimé comme on possède une chose ; il réclame un type spécial d'appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté. Mais, d'autre part, il ne saurait se satisfaire de cette forme éminente de la liberté qu'est l'engagement libre et volontaire. Qui se contenterait d'un amour qui se donnerait comme pure fidélité à la foi jurée ? Qui donc accepterait de s'entendre dire : "je vous aime parce que je me suis librement engagé à vous aimer et que je ne veux pas me dédire ; je vous aime par fidélité à moi-même ?" Ainsi l'amant demande le serment et s'irrite du serment. Il veut être aimé par une liberté et réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre. Il veut à la fois que la liberté de l'Autre se détermine elle-même à devenir amour - et cela, non point seulement au commencement de l'aventure mais à chaque instant -, et, à la fois, que cette liberté soit captivée par elle-même, qu'elle se retourne sur elle-même, comme dans la folie, comme dans le rêve, pour vouloir sa captivité. Et cette captivité doit être démission libre et enchaînée à la fois entre nos mains. Ce n'est pas le déterminisme passionnel que nous désirons chez autrui, dans l'amour, ni une liberté hors d'atteinte, mais c'est une liberté qui joue le déterminisme passionnel et qui se prend à son jeu.

 

SARTRE :  L'Etre et le néant, Paris, Gallimard, 1943, pp. 416-417:

 

Résumons :  L’amour est impossible et l’autre inquiétant !

 

 L’amour se dégrade ou même se nie s’il est obtenue par violence (comme le tyran)  ou par pur mécanisme passionnel ( Tristan et Yseut ) ou encore par obligation morale ( serment d’amour). Mais ceci implique que l’amour soit inquiétude et qu’une histoire d’amour non seulement finit mal en général mais commence par être impossible .

 

a) Inquiétant car si l’autre est une cs une liberté, je n’ai jamais aucune garantie, aucune preuve de son amour . Si j’en avais une, elle ne vaudrait que pour le moment présent . C’est peu sécurisant et c’est pour cela que nous sommes parfois tentés de nous réapproprier autrui comme une chose ! C’est  le jalousie comme PROUST qui n’est tranquille que lorsqu’il la voit dormir et encore peut-elle est-elle en train de rêver à un autre . Ou HUGO, dans Notre Dame de Paris, Dom Claude Frollo   préfère voir l’égyptienne morte plutôt qu’appartenir à un autre . Le jaloux veut posséder l’autre ! Plus souvent, on demande à l’autre : « tu m’aimes ? », comme si ces mots pouvaient nous le prouver .

Le jaloux ne pouvant avoir des preuves d’amour, car il n’y a pas de preuves d’amour , se résout à chercher des preuves de trahisons . L’autre comme liberté nous échappe et je ne peux le connaître totalement et surtout définitivement .

 

b) impossible : Mon amour se manifeste dans le désir de séduction or  la séduction ou échoue ou…échoue même quand elle réussit  ! Comme le suggère l’étymologie, la séduction est une violence , c’est amener à soi, détourner quelqu’un. C’est chercher à hypnotiser l’autre et lui faire qu’il oublie qu’il est cs et liberté ; Ou bien j’échoue à le séduire car il reste libre et sujet ; ou bien je parviens à le fasciner mais ma victoire est un échec car j’ai un être séduit pas une liberté.  .

 

En réalité, l’amour est conflit parce qu’il vise l’autre dans sa liberté  . Je ne suis donc jamais sûre de son amour, et être sûr de son amour tuerait l’amour . Je n’aime qu’à la condition que l’autre me reconnaisse mais cette reconnaissance ne compte que si elle n’est jamais acquise ! Paradoxe amoureux : j’exige que l’autre m’aime, mais s’il m’aime, il me déçoit par cet amour même !

Je veux être aimé librement ,  contradiction dans la mesure où une conscience qui aime n’est plus libre !

 

 

 

 

 

 

 T°   On le voit , nous sommes dans une impasse : l’affirmation de la co-existence des cs semblait rendre possible une relation à autrui susceptible de donner du sens aux mots du poète,  on s’aperçoit que cela mène au conflit et en définitive même l’amour semble voué à l’échec, voire àl'impossibilité .

Sans toi, je ne suis rien mais avec toi ça peut être pire ! D’un côté si je me pense dans un acte de pure pensée, qui fait de moi un sujet ,  je ne rencontre autrui qu’à partir de moi-même et ne suis jamais sûr(e) de le rencontrer au-delà de l’humanité qu’il partage avec moi ( c’est un homme comme moi ) . De l’autre,  je comprends que mon existence est intimement liée à celle d’autrui mais cela risque toujours de m’aliéner ou d’aliéner autrui , c’est-à-dire de l’objectiver rendant l’amour impossible .

Peut-on sortir de cette aporie  ?   Peut-on encore donner un sens à la question d’Aragon ou au mythe d’androgyne ?

Devons-nous renoncer à l’amour comme à un mythe périmé  alors qu’il n’y a que la guerre de tous contre tous et que de toute façon « il ne durerait  que 3 ans » ? Autrui peut-il me faire exister comme sujet , comme personne, sans pour autant m’aliéner , ou sans se détruire comme amour ?   Pouvons-nous  avoir l’union sans la tension ?

Comment instaurer une relation humaine harmonieuse pour que nous restions des sujets autonomes capables d’une ouverture à autrui ? 

 

 

 

 

 

 

 

3    Comment dépasser le conflit sans renier la subjectivité d’autrui ?

 

                         3.1 La condition :  le respect .

 

Je ne peux dépasser le risque inhérent au conflit des cs qu’ en posant l’identité des hommes comme cs , ce qui suppose que je me sois reconnu comme cs , c’est-à-dire tout autre chose qu’une chose . « je juge que ce sont bien des hommes comme moi », c’est sans doute la condition première !

En fait,  pas de relation harmonieuse sans l’intervention de la morale .

 

Chez KANT, le sentiment moral, distinct de tous les autres sentiments, en ce qu’il ne provient pas de la sensibilité mais de la raison pratique, cad de l’obligation engendrée par la morale . Il s’oppose donc au désir qui désire consommer .

 

 

 

 Texte N° 7

« Je ne puis refuser tout respect à l’homme vicieux lui-même, comme homme, car, en cette qualité du moins, il n’en peut être privé, quoiqu’il s’en rende indigne par sa conduite...

Là est le fondement du devoir de respecter les hommes, même dans l’usage logique de leur raison, ainsi on ne flétrira pas leurs erreurs sous le nom d’absurdités, de jugements ineptes etc. Mais on supposera plutôt qu’il doit y avoir dans leurs opinions quelque chose de vrai et on l’y cherchera. En même temps aussi, on s’appliquera à découvrir l’apparence qui les trompe (le principe subjectif des raisons déterminantes de leurs jugements, qu’ils prennent par mégarde pour quelque chose d’objectif) et, en expliquant ainsi la possibilité de leurs erreurs, on saura garder encore un certain respect pour leur intelligence. Si au contraire, on refuse toute intelligence à son adversaire, en traitant ses jugements d’absurdes ou d’ineptes, comment veut-on lui faire comprendre qu’il s’est trompé ? Il en est de même des reproches à l’endroit du vice : il ne faut pas les pousser jusqu’à mépriser absolument l’homme vicieux, et à lui refuser toute valeur morale, car dans cette hypothèse, il ne saurait donc plus jamais devenir meilleur, ce qui ne s’accorde point avec l’idée de l’homme, lequel, à ce titre (comme être moral), ne peut jamais perdre toutes ses dispositions pour le bien »

Emmanuel Kant. Métaphysique des mœurs : Deuxième partie : Doctrine de la vertu.1797 (Vrin p.141)

 

 

 

 

 

 

  Le respect s’adresse à l’homme , en tant qu’homme, c’est-à-dire en tant que l’homme est porteur d’une raison universelle dont l’usage est aussi bien pratique que théorique . L’Humanité est en moi plus grande que moi , quels que soient mes propos ou mes actes . C’est ma dignité qui mérite ou appelle le respect .

Chez KANT, le sentiment moral, distinct de tous les autres sentiments, en ce qu’il ne provient pas de la sensibilité mais de la raison pratique, cad de l’obligation engendrée par la morale . Il s’oppose donc au désir qui désire consommer .

Il y a donc lieu dans un premier temps de les opposer car leur source sont bien différentes , la raison d'un côté, l'affectif de l'autre.Faut-il alors ou respecter ou aimer ? L'amour est-il condamné par la raison en raison de son irrationnalité, pourquoi  l'un plutôt que l'autre, et de l'importance du corps pour un être qui se veut esprit .

Sont-ils indépendants ? Si je peux respecter sans aimer, puis-je prétendre que j'aime si je ne respecte pas ? Le respect n'est-il pas la condition nécessaire de l'amour ? Si c'est quelqu'un que j'aime et pas une chose, si c'est "toi" que j'aime et pas l'humanité en général . La difficulté qui persiste, une fois que l’on reconnaît la nécessité du respect , c’est l’originalité de l’amour . Le respect est rationnel , il s’adresse à l’autre en tant qu’il est porteur d’une raison . Or il y a dans l’amour une autre dimension qui échappe à la raison, car ce n’est pas l’homme en général que j’aime c’est « toi » en espérant, d’ailleurs,  que tu m’aimes « moi » . Cette dimension qui échappe à la raison menace-t-elle ultimement l’harmonie que nous espérons ?

 

3.2   Comment le respect se marque -t-il dans l'amour ?

 

  En réalité, il faudrait distinguer plusieurs formes d'amour . Les grecs disposaient de termes différents pour parler de l'amour .

Eros, que l'on traduit pas désir, est équivoque, il est aspiration à la fusion avec l'autre, comme nous le raconte Aristophane, mais il est aussi ce qui nous condamne à ne jamais pleinement nous satisfaire de  ce que nous avons trouvé . Si on désire ce qu'on n'a pas, on n'a jamais ce qu'on désire . Tel est la tragédie du désir qui désire ce qu'il n'a pas et ne peut donc jamais se satisfaire de ce qu'il a . Eros est alors beaucoup plus souffrance que joie et épanouissement ! Cet Eros n'est pas en tout cas ce qui permet la joie, il est amour captatif

  
 

 

                                    b) L’amitié comme amour raisonnable quoique singulier .  Philia  Dans l ‘amitié il y a amour mais un amour qui n’est pas sexualisé . La condition de l’amitié , c’est l’égalité . Ce qui la maintient c’est le dialogue et même la recherche de la vérité .Ce n’est pas face book avec 450 amis

 

  « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange  si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi

 

                                                                                                  Montaigne .Essais ; Livre 1 ch XXVIII

 

 

 

 PB : Est-ce que le respect n’est pas superflu dans l’amour ? Celui qui aime , ne respecte-t-il pas par avance ?

 

En effet,  la difficulté qui persiste, une fois que l’on reconnaît la nécessité du respect , c’est l’originalité de l’amour . Le respect est rationnel , il s’adresse à l’autre en tant qu’il est porteur d’une raison . Or il y a dans l’amour une autre dimension qui échappe à la raison , car ce n’est pas l’homme en général que j’aime c’est « toi » en espérant, d’ailleurs,  que tu m’aimes « moi » . Cette dimension qui échappe à la raison menace-t-elle ultimement l’harmonie que nous espérons ? L’amour est –il si raisonnable ?

Le philosophe a-t-il à dire quelque chose sur cette forme d'amour qui se distingue de l'amitié par son caractère encore moi

 

 

 

 

 

 Comment  le philosophe parle –t-il de l’amour ?  

 

voir : http://www.dailymotion.com/video/xz085h_qu-est-ce-qu-aimer-philippe-fontaine_school

 

                        a) le paradoxe de l’amour : la plus grande affaire de la vie, la moins intelligible, la plus rétive à l’investigation rationnelle ! Peut-on au moins savoir pourquoi, à défaut de résoudre le paradoxe ?

                        b) pourquoi ?

Parce que notre amour est objectivement contingent et nous apparaît subjectivement nécessaire !

 

Objectivement contingent : pas de raison suffisante pour notre amour !

Il n’y a pas de raison d’aimer telle ou telle personne. Dans l’amour,  règne le plus grand arbitraire . Ce n’est pas parce qu’une femme est bouleversante que nous l’aimons, mais c’est parce que nous l’aimons qu’elle est bouleversante . La preuve c’est que les autres n’en sont pas bouleversés !

D’ailleurs, un singe préfèrerait une guenon ! Il n’y a qu’un choix objectivement arbitraire !

 A l’inverse, certains ont objectivement 1000 qualités mais nous ne les aimons pas pour cela !

 (Croire comme PASCAL ou comme il feint de le croire,  qu’il nous faut des raisons d’aimer est faux.)

A la limite, d’ailleurs,  pas plus que la connaissance que nous pourrions avoir de l’être aimé ne suffit à justifier un amour, pas plus cette connaissance ne suffirait à nous empêcher d’aimer ! « L’amour est enfant de bohême » : il n’a pas de lois, pas de règles, se méfie de la raison et des conventions !

 

Tel n’est pas pourtant le vécu de la conscience amoureuse !

 

Subjectivement nécessaire : 

La personne que nous aimons est unique, irremplaçable . Nous ne pouvons pas concevoir la vie sans elle ou sans lui !  C’est le moi d’autrui que nous aimons . Or son identité est comme la mienne sans doute : différente, unique.

C’est le destin, la fatalité , d’où les mythes d’un envoûtement, d’un filtre par lequel nous ne pouvons rien faire . cf la passion . Nous pouvons exprimer d’ailleurs ce sentiment par l’incapacité d’expliquer rationnellement cette passion : 

« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange  si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi

 

                                                                                              Montaigne .Essais ; Livre 1 ch XXVIII

 

 

MONTAIGNE exprime ici cette nécessité qui échappe à une explication objective et communicable. Ou LA BRUYERE : « l’amour commence par l’amour » et naît adulte comme Athéna. L’amour est causa sui, il n’a pas de cause externe, il se suffit à lui-même.

De façon plus contemporaine, nous tentons parfois de nous justifier, par ce qu’on appelle  une « rationalisation secondaire » FREUD ou bien nous transformons les défauts en qualités , c’est l’un des aspects de la cristallisation dont parle STENDHAL. C’est précisément parce que nous refusons cette contingence que nous parons la femme aimée de vertus ( cachées aux autres…).

 

 Comment penser cette contradiction ? Quel est le point de vue le plus juste ?

 

Faut-il admettre le primat de la contingence et faire du vécu de conscience une illusion forgée par nos désirs égoïstes, nos intérêts et en dernier lieu, par la nature pour nous amener à accomplir, par ruse,  l’acte génésique dans le but parfaitement objectif de perpétuer l’espèce ?

Ainsi faire la cour ne serait qu’une façon plus acceptable de perpétuer le rapt et le viol.

 Le vécu de conscience , le sentiment amoureux ne serait-il pas alors un épiphénomène secondaire lié simplement à la nature complexe de notre être social ?

Cette façon d’envisager les choses correspond assez bien à la démarche positiviste ,  scientifique et désenchantée qui tend à ramener le complexe au simple et le supérieur à l’inférieur , ici, les sentiments à des processus mentaux conditionnés par les lois de la nature .

 

Mais si  l’amour était en fin de compte la masque que prend la nature pour nous imposer la reproduction, ne suffirait-il pas d’avoir des enfants  pour être comblé en amour ? La possession physique de l’ « aimé », cad de celui qui nous correspond génétiquement,  ne suffirait-elle pas à satisfaire notre demande ? 

Ramener le complexe au simple, réduire le vécu de la conscience à une ruse de la nature, n’est-ce pas ici renoncer à comprendre l’homme en tant que c’est « le seul animal capable d’amour » M.M PONTY.

 

 

  « L’amour n’est pas du corps seulement puisqu’il vise quelqu’un et il n’est pas de l’esprit seulement puisqu’il le vise dans son corps. » M.M PONTY Eloge de la philosophie .

 L’amour a une signification métaphysique, toute lecture dit encore MMPONTY purement positiviste, mécaniste, physiologique rate son essence : 

 

«  La pudeur, le désir , l’amour ont une signification métaphysique, c’est-à-dire qu’ils sont incompréhensibles si l’on traite l’homme comme une machine gouvernée par des lois naturelles, ou même comme un « faisceau d’instincts », et qu’ils concernent l’homme comme conscience et comme liberté. »

la pudeur manifeste que l’homme proteste contre toute tentative de se voir réduit à son corps.

Voir quelqu’un nu nous invite à ne le voir que comme chose .

 

(Ce que les mythes d’ailleurs ont compris depuis longtemps le mythe d’androgyne cf lecture et le film d'animation sur YOU TUBE de JF Balmer : le sexe n’est pas naturel mais un accident tragique ! le sentiment que l’autre est unique , que c’est une partie de moi-même, que l’on ne veut faire qu’un avec lui à jamais , n’est nullement contenu dans la mécanique corporelle. Le désir humain excède l’instinct génésique ; ARISTOPHANE distingue Eros et le sexe et montre qu’il n’y a d’érotisme que pour l’homme.

C’est ZEUS qui va lier Eros et le « sexe » pour éviter l’extinction de la race . Mais cela veut dire aussi que le sexe associé à Eros est un désir d’immortalité , il débouche sur l’enfantement .

Le mythe nous dit que l’amour est d’abord d’ordre métaphysique avant d’être physique ! Ce que nous recherchons chez l’autre ce n’est pas tant la satisfaction sexuelle que ce qu’elle signifie : la plénitude de notre être dans la fusion du couple .)

 

 

 

le mythe d’androgyne cf JF Balmer le sexe n’est pas naturel mais un accident tragique ! le sentiment que l’autre est unique , que c’est une partie de moi-même, que l’on ne veut faire qu’un avec lui à jamais , n’est nullement contenu dans la mécanique corporelle. Le désir humain excède l’instinct génésique ; ARISTOPHANE distingue Eros et le sexe et montre qu’il n’y a d’érotisme que pour l’homme.

 

« Le sentiment que l’autre est une partie de moi-même, que l’on ne veut faire qu’un avec lui à jamais , n’est nullement contenu dans la mécanique corporelle . » A.BLOOM l’érotique est une mystique

 

C’est ZEUS qui va lier Eros et le « sexe » pour éviter l’extinction de la race . Mais cela veut dire aussi que le sexe associé à Eros est un désir d’immortalité , il débouche sur l’enfantement .

 

Le mythe nous dit que l’amour est d’abord d’ordre métaphysique avant d’être physique ! Ce que nous recherchons chez l’autre ce n’est pas tant la satisfaction sexuelle que ce qu’elle signifie : la plénitude de notre être dans la fusion du couple .

 

 

 

Le philosophe n’est-il pas dépassé au XXI ème siècle  ?

 

 

 

 On peut reprocher au mythe de l’androgyne de na pas répondre tout à fait à notre désir de nous poser comme des sujets autonomes . Si je me fonds dans autrui et autrui en moi : il n’y a pas deux sujets mais un seul être : un couple inséparable sauf par les dieux .

 

 Or nous sommes dans des sociétés bien éloignées de cette représentation : nous voulons affirmer avec force notre liberté et notre indépendance .

 

Mais  si je veux rester sujet , je vais  de refuser  de me perdre dans le risque que constitue l’amour (Eros)  et c’est pourquoi , nos sociétés individualistes commencent à s’interroger sur la possibilité même du couple . Dans nos sociétés individualistes et désenchantées (on réduit Eros au sexe ce qui fait qu’il ne dure que 3 ans ) ne reste que le « sexe » qui nous rattache non pas tant  à l’animalité  qu’à une gymnastique  plus ou moins technique d’où l’on sort plus seul que jamais . Dès lors , la question  toujours revient  : « Que serais-je sans toi ? » n’est-ce pas qu’une question chimérique pour ceux qui en sont encore au mythe mais qui ne correspond plus à la réalité de nos sociétés rationalistes et désenchantées ?  Le couple, le moi commun ,  peut-il se maintenir si chacun possède un moi différent ?

Faut-il renoncer à Eros ou le réapprendre ?

Parce que l’amour n’est pas le sexe ! Parce que l’être humain est un être de culture , pas un être naturel .cf Rousseau ce n’est pas d’une éducation sexuelle dont on a besoin ! décalage entre la maturité physiologique et l’immaturité social et affective de l’adolescent . Un Eros moderne , un peu désabusé mais pas désespéré  doit s’éduquer à l’amour et non au sexe (ce dernier ne requérant  pas un long apprentissage) alors que le premier s’est perdu avec le règne de l’individu . Ce sont des centres d’éducation à l’amour qu’il faut ouvrir ! Des centres où l’on apprendrait à « être deux » ! Théoriquement cette éducation se fait par l’exemple mais comme chacun sait , c’est aujourd’hui tout le problème ! Comment s’éduquer à l’amour ? En en apprenant le langage !

 

 

a) la caresse : elle est langage , elle est signe d’un sens et en ce sens elle possède une équivocité . Elle peut vouloir signifier le prélude d’un désir d’emprise mais aussi elle peut  apparaître comme l’expression emblématique de la recherche d’un désir de non –possession . Je te caresse parce que je sais que par définition tu m’échapperas toujours , tu es au-delà de toute prise .

«  le sexe »  ne caresse pas il veut posséder .  La caresse exprime l’unité à jamais perdue et toujours souhaitée . l’étreinte, l’enlacement

 

Il n’aime pas  engendrer d’ailleurs  cf la pornographie  c’est le sexe sans Eros dissocié en plus de son pouvoir d’enfantement

b) le langage de l’amour et l’amour du langage Eros a besoin de parler , le « sexe » est muet . L’amour a besoin de l’imagination , il a besoin de chanter et de célébrer pour ne pas sombrer dans la trivialité du besoin sexuel ou pour transcender le besoin sexuel .  L’amour a besoin de se dire et de se déclarer , de se raconter . Il faut lire des romans et aller au cinéma …pour comprendre l’amour .   « La princesse de Clèves » nous en  dit plus sur l’amour et sur nous-mêmes que n’importe quel ouvrage de sexologie.

 

Eros désabusé mais pas désespéré doit donc réunir le respect, l’amitié , le dialogue , et l’imagination  c’est à ce prix que les amoureux peuvent espérer former un couple , cad créer une relation  vraiment harmonieuse en associant Eros et le sexe comme le préconise depuis toujours le mariage d’amour !

 

 

 

 

  c) Agape .

 

Si nous disons qu’il n’y a pas d’amour sans respect c’est parce qu’il faut distinguer le désir amoureux de l’amour . Le désir amoureux est plus narcissique et autiste qu’altruiste . Il ne dure souvent qu’aussi longtemps que dure la cristallisation  et le travail de l’imagination . Le fait que je respecte en l’autre sa subjectivité , son humanité, sa différence : c’est à ce prix que l'amour est humain !

Mais aimer, c’est aimer l’autre tel qu’il est non tel qu’on l’idéalise . Le désir est manque et si on désire ce qu’on n’a pas on n’a jamais ce qu’on désire, il est marqué du sceau de l’éphémère et de la jalousie. On dit que le temps est le grand ennemi de l’amour . En fait, c’est du désir amoureux en tant qu’il se distingue de l’amour.  L’amour véritable dure non pas malgré le temps mais au travers du temps . Dire je t’aime maintenant mais demain je ne suis pas sûre, c’est envisager la fin de l’amour, c’est un amour bien tiède et déjà mort (cf le mariage à l’essai )

« Aimer quelqu’un c’est jurer et affirmer plus qu’on ne sait sur ce qu’il sera » ALAIN. 

L’amour oblatif est l’amour qui dépasse l’amour captatif ou narcissique et c’est lui que le temps n’atteint pas et qui ne peut envisager en effet sa mort ni être jaloux . L’amour oblatif est don de soi .

Et si en fait la mort de l’amour survient, car l’amour oblatif est plus un idéal qu’une réalité, et la contingence peut reprendre ses droits,  si la promesse n’est pas tenue on en retire pas forcément du cynisme ou de l’amertume mais la conscience que l’autre n’est pas ma chose et que je ne peux le connaître exhaustivement,  ni aimer sans faire confiance et sans générosité.

réunir le eros, philia et agape n'est-ce pas la vocation même du mariage d'amour ?

 Et si l'éthique précède l'amour, il est vrai aussi que ce dernier le dépasse et l'englobe

 

 

Conclusion :

 

A la question de savoir si mon être, mon existence dépend d’autrui nous ne pouvons que répondre par l’affirmative .

Pourtant une telle affirmation relève dans nos sociétés modernes individualistes  d’une gageure .  L’individu est égoïste ,

Il préfère se passer d’autrui dès qu’il le peut ou se contente de surfer en solitaire  . Dans de telles circonstances, la solidarité mais a fortiori l’amitié et l’amour sont inouïs  car « dans cet enfer moderne , l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux ».

Il se veut indépendant tandis que le sexe ou l’amour captatif est dépendance , aussi pense-t-il se libérer de sa dépendance en assouvissant sans limite un désir solitaire . L’amour véritable oblige , nous lie à l’autre , il est forcément respect de la personne en toi et en moi.

« Que serais-je sans toi ? » :  Nous nous demandions au début si une telle expression est celle de la passion ou de la raison, force est de constater que le poète a toujours raison .

 

 

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7 octobre 2014 2 07 /10 /octobre /2014 19:28

 Codex_Atlanticus.jpg

 

machine volante, Léonard de Vinci, 1500

 

Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune (1), et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content(2); car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux.

 

DESCARTES Discours de la méthode, 3ème partie

  ( 1) les hasards de la vie

( 2) au sens fort : heureux

 

 

C'est le premier devoir que j'ai donné à ma classe de terminale L . j'ai commencé l'année par une réflexion sur le bonheur ; cela m'a amenée à présenter la philosophie d'abord comme art de vivre. "Comment vivre?" m'a semblé être une question plus susceptible d'interesser les élèves que : "Qu'est-ce que l'homme ? ". Mais franchement, j'avoue que j'ai manqué de discernement en leur proposant ce texte très ardu dont j'ai redécouvert la profondeur et la difficulté . Se mefier des textes que l'on croit connus , trop connus ! Bon, en tout cas , j'ai été très très indulgente ! 

 

 

 Quel chemin doit-on suivre si l’on veut « se rendre content » ? Telle est la question à laquelle DESCARTES va répondre  dans ce texte . L'auteur du Discours de la méthode va nous dire  la façon dont il convient de diriger sa vie .( intention argumentative). Il exclut, ce faisant, l’idée qu’une vie dérèglée soit heureuse !

Si nous voulons être heureux,  nous ne devons désirer que ce que nous estimons possible de faire. Il nous faut, en fin de compte,  ajuster notre volonté à notre puissance.  La volonté, c’est-à-dire, le pouvoir d’affirmer ou de nier, doit, comme dans le jugement vrai, s’incliner devant l’entendement. Que la volonté précède l’entendement et ce sera non pas l’erreur mais le malheur , le regret, le constat d’impuissance.

Nous sommes en présence d’une thèse qui satisfait la raison mais qui pose une série de questions . Y-a-t-il une parfaite analogie entre la pensée qui "dépend de moi "et l’action "sur les choses extéreures", qui, par définition, ne dépendent pas totalement de moi ? Si je peux me rendre maître de mes pensées, puis-je avoir la même maîtrise sur mes actions ?

Si je dois agir, n’est-ce pas parfois dans "l’urgence" ? Autrement dit, ai-je toujours le temps de réfléchir et de savoir si c’est possible ? Conséquemment, ne dois-je pas essayer, c’est-à-dire « faire » pour savoir « après coup » si une action était possible ? La limite entre le possible et l’impossible qui ne relève pas de la logique stricte mais d'une appréciation subjective n' est-elle pas a posteriori et totalement contingente ? Ne serions-nous pas condamnés à l’inaction si nous souspesions absolument  tous les tenants et aboutissants ?

 Le problème serait donc de savoir ce qui, dans l’ordre de l’action jugée possible,  est véritablement premier : l’entendement ou la volonté ?

Plus précisément, la maxime cartésienne,qui fait la part belle à l'action, ne rend-elle pas extrêmement épineuse l'accès à la sagesse considérée pourtant comme un idéal ?

Si on considère que c’est l’entendement qui détermine le champs du possible, alors nous ne rechercherons que ce qui nous semble raisonnable, et nous pourrons alors être heureux en ajustant notre volonté à notre raison : je le veux parce que je le peux . Mais si le champs du possible est déterminé par la volonté, alors l’entendement n’est-il pas sommé de s’ajuster à ses exigences en montrant, a posteriori, que c'était possible ? Ce renversement dans l’ordre des facultés n’est-il pas tout aussi efficient et redoutablement dynamique : Je le peux parce que je le veux ?  L’histoire des hommes ne manifeste-t-elle pas la vérité de cette possibilité ?  Si je fais  vraiment  tout ce qui est en mon pouvoir sur les choses qui me sont extérieures, mon entendement ne sera-t-il pas au service de ma volonté au point de ma faire avoir des ailes pour voler ?

On le voit , Il y a une vraie difficulté dans ce texte qui  exprime toute la grandeur de la sagesse stoïcienne à laquelle Descartes veut se hisser mais aussi tous les obstacles qui se dressent si on veut étendre son champs d'application à l'action .

 

Les étapes du texte sont les suivantes :

 

Quelle règle devons- nous suivre pour être heureux ?

Telle est la question à laquelle Descartes répond ( début à ligne 8 ) .L’auteur commence par énoncer sa troisième  maxime puis nous dit sa finalité : «  nous rendre content » c’est-à-dire heureux .

 

Dans un second moment, il justifie sa position en analysant le lien naturel de subordination entre l’entendement et la volonté : le possible est déterminé par l’entendement .l 8 à 10 «  car » à « possibles »

 

Quels sont les effets concrets que l’on pourra en dégager, c’est l’objet d’un dernier moment : l 11 à 14 où Descartes expose les possibilités qu’offrent  celui qui s’exerce à une telle attitude et de 14 à 18 et celui qui a dépassé le stade de l’exercice et qui parvient à « faire de nécessité vertu ».

 

 

 

 

Explication :

 

1er moment :

 

 

Descartes commence par exposer sa maxime . Une maxime est une règle que l’on se donne pour diriger son action et ne pas être le jouet des circonstances extérieures . Cette maxime consiste à « se vaincre », à se maîtriser soi-même. Ce faisant, il s’inscrit dans une tradition qui conçoit l’homme de façon dualiste . L’âme doit gouverner le corps, c’est l’action proprement dite, et non le corps gouverner l’âme, car c'est là la définition même de la  passion. Il faut donc s’efforcer de se maîtriser . Prétendre maîtriser la chance, cet « heureux » hasard de circonstances est une entreprise évidemment impossible puisque le propre du hasard est d’échapper à toute loi. Si je parviens à cette victoire sur moi-même mes désirs seront ceux qui sont conformes à l’ordre du monde et je serai délivré des désirs ordinaires de gloire ou d’argent. L’auteur poursuit en rappelant la nécessité de s’entraîner cet exercice spirituel car cela ne va pas de soi . Nous sommes assez facilement détournés de cette ligne de conduite par la force des préjugés et le cours ordinaire de la vie .Dire que nous ne sommes maîtres que de nos pensées, ce n’est pas ce que pense évidemment le fou ou l’ homme rempli de désirs . Il y a donc une habitude à acquérir pour contrarier des penchants naturels. Les Anciens s'entraînaient à cela et c'est précisément ce qu'on appelle l'ascèse .

L’attitude qui vient d’être décrite s’inscrit dans la philosophie stoïcienne et Descartes ne semble pas innover sur ce point . Mais, nous pouvons noter deux différences essentielles relativement à la forme et au fond .

 

La forme : Descartes intègre les principes de la physique stoïcienne dans « sa » maxime : Affirmer que le monde est un cosmos n’est valable que pour la pratique (la morale provisoire) , pas pour la théorie ! ( c’est le cogito pas le cosmos qui est le point de départ de la connaissance.) En quoi, cette place change-t-elle l’importance du propos , ce qui suit va nous éclairer.

 

Le fond :  Il ne s’agit pas en effet de se contenter d’agir sur « ce qui dépend de nous », mais aussi sur les « choses qui nous sont extérieures » . Le précepte des Stoïciens s’appliquerait donc  aussi à ce qui  est hors de nous . Autrement dit, Descartes considère ou semble considérer que la pensée ne se contente pas de s’harmoniser à « l’ordre du monde » mais qu’elle peut aussi prescrire une action en dehors de cet ordre. Le monde ne serait alors pas seulement à penser, à contempler mais à faire . Telle serait la modification apportée au principe des Stoïciens dans ce passage . (Cela va rendre sans doute problématique la fidélité aux Anciens, mais cela signifie aussi qu’ils auraient une fécondité  illimitée !)

 Vis à vis des « choses extérieures », considérer que seules nos pensées sont en notre pouvoir  c’est éviter le regret vis à vis de l’échec mais aussi éviter l’inaction de celui qui ne croit qu’au destin . 

Si j’ai fait tout ce qu’il fallait pour passer mon examen et que j’échoue, je ne peux, de mon point de vue ou « à mon regard » m’en imputer la faute. Je ne peux peut-être pas décider de l’issue, elle relève de l'imprévisible, mais je peux décider des moyens et de ma "résolution"  la fermeté de ma volonté.

La faute, en effet,  ne réside pas dans le résultat de l’action mais dans la force de l’ exécution, dans le passage à l’acte.

Autrement dit, pour avoir un effet sur les choses qui me sont extérieures mais que je désire acquérir ( moment de la volonté), je dois d’abord m’interroger, sans me mentir,  sur mes dispositions réelles eu égard à la fin que je me propose (moment de l’entendement) .

 L’ordre du monde n’est pas totalement extérieur à moi, il n’est pas donné une fois pour toute, il est essentiellement à faire mais ce « faire » doit  obéir à un ordre ( dans tous les sens du terme : commandement et organisation) donné par la raison qui est en moi .  le Stoïcisme sert donc de règle pour l’action, mais contrairement au stoïcisme antique, Descartes  cherche à promouvoir l’action.

Pourquoi faut-il à ce point « se vaincre », et s’exercer à penser « que nous ne sommes maîtres que de nos pensées » , telle est la question à laquelle Descartes va maintenant répondre .

Ne pas suivre cet ordre prescrit par la raison, c’est se condamner à rester dans l’impuissance et à attendre passivement « le hasard ». Si j’ai rempli toutes les conditions, que j’ai « fait de mon mieux », c’est-à-dire que j’ai vraiment intériorisé le principe des Stoïciens  en l’appliquant « aux choses qui me sont extérieures », je conserverai le même empire sur moi, qu’eux vis à vis des choses « qui dépendent (que) de nous », et alors,  je serai « content ».

Une telle conséquence semble en effet très bonne et très désirable, mais toute la question serait maintenant de savoir si une telle application « aux choses qui nous sont extérieures » va de soi .

C’est ce que Descartes envisage désormais dans un deuxième   moment  moment . L8 à L17 .

Il va en effet se justifier :  « car » mais en même temps nous révéler l’écart qui existe entre le précepte stoïcien et le sien .

 

 

  2 éme moment :

Descartes pose que «  notre volonté » ne se porte « naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possible » .Cette phrase est à la fois banale et très originale. Lorsqu'on veut vraiment et qu'on n'est pas dans le souhait ou le rêve ou le désir, on peut. La volonté en tant qu'elle se distingue du désir est forcément éclairée par l'entendement. Dans ces conditions, en effet, je ne peux vouloir "la lune"!

Cette phrase est cependant aussi très nouvelle : les Stoïciens cherchaient à suivre en toute chose la raison non pas pour qu’elle leur indiquât le possible mais le réel," l' ordre du monde",  c’est-à-dire ici la nécessité !

 Nous  sommes dans une allégeance aux Anciens un peu  équivoque ! Cet argument majeur dans le texte est problématique . Si le possible ne réside  pas dans ce qui est donné ou ce qui est pensable ( non-contradictoire) mais dans ce qui est à faire, comment pourrait-il résider dans l’entendement ?  Ne faut-il pas déjà soupçonner l’intervention de la volonté ? Penser que quelque chose est réalisable n’est-ce pas déjà savoir qu’on peut parce qu’on veut ? Le propre de l’ambitieux n’est-il pas de transformer de simples désirs en volonté en travaillant à atteindre ce qui semblait objectivement « impossible » ? Dans tous les cas de figures, pour apprendre à nager, ne faut-il pas d'abord se jeter à l'eau ? La faisabilité n'est-elle pas conditionnée surtout par le "faire" et non par la pensée ?

Quoiqu’il en soit, Descartes pense que  si l’entendement sert de guide à la volonté en indiquant ce qui est possible, nous pourrons rester « contents ». Descartes va maintenant illustrer et en même temps approfondir son argument .C'est le dernier moment du texte .

 

3éme moment :

 

Par exemple, nous ne pourrons pas plus regretter «  ce qui est dû à notre naissance », un revers de fortune dont nous ne serions pas responsables, que nous ne regrettons la possession de la Chine ou du Mexique. Nous devons considérer la perte d’un privilège « dû à notre naissance », si nous en sommes privés sans notre faute, comme aussi insignifiante pour notre bonheur  que  la possession de royaumes fabuleux . En effet, si nous sommes privés d’un titre ou d’un territoire familial en raison de la mauvaise gestion de nos aïeux, nous devrons regarder cette perte comme dépassant le cadre de notre action possible et accepter ce qui nous arrive en la considérant avec la même indifférence qu’une chose inconnue dont, par définition,  nous ne pouvons pas ressentir le manque. Comment être privé de quelque chose, la Chine ou le Mexique que nous n’avons jamais vus et qui ne nous manque pas ?

 

A la fin, lorsque nous nous serons accoutumés à  cette attitude, nous ferons de « nécessité vertu », c’est-à-dire que tout se passera comme si, à l’instar des sages de l’Antiquité nous  finissions par choisir ce qui nous arrive .Autrement dit,  à force de s’habituer à ne considérer que ce que l’entendement représente comme réalisable, nous ne ferons même plus d’efforts pour chasser l’impossible.  Les exemples qui suivent montrent que Descartes radicalise son propos, en montrant jusqu'où nous pourrions aller si nous étions de vrais sages . Il faut remarquer ici l'emploi du futur. En effet, et aussi paradoxal que cela paraisse, des biens, sans doute plus encore indispensables que les privilèges dont nous parlions plus haut , la santé et la liberté, ne nous apparaîtront pas plus  désirables que le handicap ou l’esclavage de naissance. Nous ne serons plus  dans la position de celui qui commence à philosopher  et qui est juste capable de ne pas désirer l’impossible : avoir un corps en diamant ( qui ne souffre pas !  ) et des ailes pour voler . Nous serons alors capables de désirer l’indésirable : la maladie et l’esclavage !

Il y aurait donc des degrés dans le renoncement et Descartes dit modestement qu’il n’en est pas là « maintenant ». Il y a le moment de l’accoutumance, le travail sur soi, et enfin le succès qui ne nécessite plus d’efforts mais s’ouvre sans doute à la tranquillité de l’âme .

 

 

Discussion : La maxime cartésienne nous permet-elle d’atteindre la vertu, la sagesse et le bonheur ?

Pour faire de nécessité vertu, ne convient-il pas de se limiter aux choses qui dépendent exclusivement de nous ? Dès lors que je cherche à faire et non pas à contempler simplement l’ordre du monde, puis –je atteindre vraiment un ajustement parfait entre l’entendement et la volonté ? Le possible ainsi que nous l’avions dit plus haut peut-il être déterminé par l’entendement ? N’est-ce pas plutôt la volonté qui va chercher à exprimer sa puissance ? A partir du moment où l'ordre du monde n'est pas seulement à penser mais à faire, la volonté pourra-t-elle se plier à la nécessité ?

Après tout, nous qui sommes bien postérieurs à Descartes, le problème des limites entre le possible et l’impossible reste entier. Nous savons qu’en réduisant le monde à un objet de connaissance, Descartes nous a permis d’étendre à l’infini le champs de notre puissance comme d’avoir des ailes pour voler  et être en passe d’avoir des corps incorruptibles . L’auteur qui  est si admiratif des Anciens ne rend –il pas impossible leur retour ?

 

 

 

 

 

 

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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 17:23
 
MeilleurDesMondes.jpg

RQ : 

Ce texte est   assez difficile parce qu’il y a de l’implicite et des fausses routes .

Il faut en particulier traiter très soigneusement la thèse ( l1.) : sa simplicité apparente est redoutable si les élèves ne lisent pas assez « traité » et « ne peut pas » car dans les deux cas , il y a un double sens . Un sens théorique et un sens  pratique pour « traité » , le sens de la possibilité de fait , et d’obligation en droit pour « ne peut pas ». C’est à la  condition d’y être très attentif  que le texte enfin s’éclaire et que l’on en comprend la structure .

Ce texte  est  très inquiétant : MOUNIER définit la personne comme ce qui ne peut pas être traité ,en fait et en droit comme un objet dans un premier temps pour admettre que cela est possible , au moins dans un roman ...

 Il est bien question ici de la science et de son pouvoir  d’effacer l’homme .

 

 

 

La personne n'est pas un objet. Elle est même ce qui dans chaque homme ne peut être traité comme un objet, Voici mon voisin. Il a de son corps un sentiment singulier que je ne puis éprouver ; mais je puis regarder ce corps de l'extérieur, en examiner les humeurs, les hérédités, la forme, les maladies, bref le traiter comme une matière de savoir physiologique, médical, etc. Il est fonctionnaire, et il y a un statut du fonctionnaire, une psychologie du fonctionnaire que je puis étudier sur son cas bien qu'ils ne soient pas lui tout entier et dans sa réalité compréhensive. Il est encore, de la même façon, un Français, un bourgeois, ou un maniaque, un socialiste, un catholique etc. Mais il n'est pas un Bernard Chartier : il est Bernard Chartier. Les mille manières dont je puis le déterminer comme un exemplaire d'une classe m'aident à le comprendre et surtout à l'utiliser, à savoir comment me comporter pratiquement avec lui. Mais ce ne sont que des coupes prises chaque fois sur un aspect de son existence.

Mille photographies échafaudées ne font pas un homme qui marche, qui pense et qui veut. (...) Le meilleur des mondes d'Huxley est un monde où des armées de médecins et de psychologues s'attachent à conditionner chaque individu selon des renseignements minutieux. En le faisant du dehors et par autorité, en les réduisant tous à n'être que des machines bien montées et bien entretenues, ce monde surindividualisé est cependant l'opposé d'un univers personnel, car tout s'y aménage, rien ne s'y crée, rien n'y joue l'aventure d'une liberté responsable. Il fait de l'humanité une immense et parfaite pouponnière.  

  

Emmanuel MOUNIER , le personnalisme , 1949 p 7_8

 

 

Dans ce texte il est question (thème ) des rapports de la science et de la morale . Le champs de la science est-il sans limite ? La science peut-elle nous dire ce qu’est la personne humaine ? (question du texte)

Peut-elle traiter de l’homme comme elle traite de tout, c’est-à-dire en  objet ?   La réponse de MOUNIER ne se fait pas attendre : La personne humaine n’est pas tant  l’objet d’une définition, que d’un certain rapport  avec les autres . Elle est essentiellement « ce qui ne peut être traitée comme un objet », telle est la thèse du texte. Autrement dit , la personne  est d’abord  ce qui impose le respect  . La personne est en l’homme , elle  fait de nous des sujets porteurs de droits et possesseurs  d’une dignité . C’est cette détermination morale  de la personne qui , au final,  la distingue de l’individu susceptible malheureusement d’ être traité –en fait - comme un objet .

La définition de la personne n’est donc ni biologique, ni  psychologique , ni sociologique mais morale et  métaphysique : elle n’est pas descriptive mais normative . Il récuse donc  que l’on puisse en fait et en droit  réduire la personne en l’homme , aussi bien du point de vue théorique que du point de vue pratique à un objet ou , ce qui revient au même ,  à l’individu. Le problème ne serait donc pas tant de savoir s’il faut réfuter cette notion que de savoir s’il n’est pas possible à la science de produire , au-delà du roman dystopique ,   un monde d’individus sans que  « personne »  ne s’en aperçoive . En clair : ne peut-on pas , en fait , détruire la personne bien qu’en droit cela ne soit pas légitime ?

Enfin l’enjeu est de taille et souligne la dimension paradoxale de ce texte et de sa thèse : nous qui  mettons tous en avant la liberté individuelle, ne sommes –nous pas victimes d’illusions ?  L’individu et l’individualisme ne sont-ils pas des fictions collectives  destinées à cacher  la toute puissance du social associé au pouvoir de la science ? Ne conviendrait-il pas d’éduquer les enfants à être des personnes responsables et créatives  plus que des individus soit disant libres et en réalité  dressés à être des  esclaves dociles d’un pouvoir totalitaire ?

 

Pour démontrer sa thèse  , l’auteur passe par le raisonnement suivant :   ( structure argumentative )

 

Premier moment :  l’auteur se demande ce qu’est   la personne . Il répond en posant une   

définition négative ( ce qu’elle n’est pas , non ce qu’elle est ) mais qui débouche sur une conséquence  pratique ( morale) . L1 .

 

Deuxième moment : Peut-on , malgré tout ,  la traiter comme un objet ?  Mounier objecte  que l’existence de Bernard Chartrier est irréductible, en fait ,  à son objectivation . Il pose la question  sur deux niveaux , celui des sciences exactes et celui des sciences humaines

                                    a) du point de vue des sciences exactes L2 à L3

                                    b) du point de vue  des sciences humaines  .L3 à L5

et synthétise l’objection de façon globale de la  L6 à L8 :  L’existence individuelle de Bernard Chartier est irréductible à son essence  .( voir correction du texte de SARTRE )

 

Troisième moment :  Ne peut-on envisager pourtant cette hypothèse ( la réduction de la personne à un objet ) en poussant à l’extrême cette possibilité ? Tel est le sens de la référence au roman de HUXLEY .La réponse de l’auteur est ici beaucoup plus ambigüe et plus inquiétante . Loin d’être exclue , cette hypothèse est plausible . On peut en fait le faire  bien qu’en droit cela ne soit pas moral . Toute la question serait en effet de savoir si  la fiction n’est pas annonciatrice d’une apocalypse réelle . L9 à la fin

 

 

 

Explication :

Premier moment :

L’auteur commence par définir la personne de façon négative : « la personne n’est pas un objet » . Il peut sembler peu rigoureux de donner une définition négative dans la mesure où nous ne savons ce qu’est la personne mais ce qu’elle n’est pas . Or en logique , non blanc n’est pas forcément noir ! Ainsi  la définition de la personne  est indéterminée . Pourtant,  de cette indétermination, l’auteur va tirer une proposition pratique : « Elle est même  ce qui, en l'homme ne peut être traité comme un objet" . La personne , ce n’est pas seulement  une personne , une personne physique, comme diraient les juristes , mais ce qui réside « en chaque homme » . Autrement dit , le sens du mot personne désigne ici une valeur qui s’attache à l’homme , quel qu’il soit , qui lui confère une dignité absolue . La dignité de la personne c’est ce qui ne peut être ôtée, ni en fait, ni en droit  ; le pire des scélérat, l’être le plus  perdu possèdent  en eux cette dignité . Le sens du mot n’a donc rien à voir avec le sens aristocratique ancien lié aux charges exercées . C’est donc cette qualité qui « ne peut être traité(e) comme un objet » . Nous comprenons donc mieux le sens de la définition négative : la dignité qui s’attache à la notion de personne  implique le respect . En effet , on ne respecte pas un objet ; on en use et on en abuse .   Dire qu’on « ne peut » traiter la personne comme un objet  veut donc dire non seulement qu’on ne le peut pas en droit mais aussi  en fait   . On ne le peut pas ,en fait,   car quelles que soient les circonstances la personne possède en elle cette qualité , pas plus,   qu' en droit , cela est plus évident,   car ce serait injuste .Pourtant la suite du texte est paradoxale et MOUNIER va mettre à l’épreuve cette déclaration par la puissance objectivante de la science . La science n’est-elle pas capable , en fait,  de traiter la personne en objet ?

 

Deuxième moment :

MOUNIER va nous montrer, contre toute attente,   que la science n’est pas capable, en fait , de traiter la personne en objet bien que par définition la science soit objectivante .

 Il va  prendre l’exemple de son voisin pour nous le faire comprendre . La personne a déjà un rapport immédiat et intime à son corps et  cette expérience est incommunicable . D'ailleurs la personne "est" son corps plus qu'elle ne l'"a".La personne ce n’est donc pas quelque chose d’immatériel, c’est d’abord l’expérience de son « corps  propre » du corps vécu  qui n’a rien à voir  avec le corps « médical » ( !) étendu , mesurable et  vulnérable qu’observent les sciences exactes .

Mais ce n’est pas non plus à la portée des sciences humaines ou sociales : La sociologie qui étudie l’homme social, la psychologie qui étudie l’âme humaine se donnent donc l’homme comme objet d’étude  avec la même exigence d’objectivité . Décrire un fait social, analyser le stress , ce n’est pas le vivre mais l’expliquer en recourant à des observations minutieuses et à des mesures ou des statistiques . 

Mais la démarche scientifique échoue à  faire de mon voisin  « un »  Bernard Chartier .

La science ne connaît que des essences ou du général, pas les individus , c’est-à-dire les réalités ultimes qui pourtant seules existent .

Lorsque la science cherche à connaître une chose , elle cherche à l’identifier à dégager son essence , mais cette dernière est forcément générale . et même si elle passe du genre aux espèces , des espèces aux classes , jamais elle n’atteindra l’individu singulier bien que ce soit lui qu’elle vise . Autrement dit, la science connaît la fourmi qu’elle range dans telle espèce , telle classe ou sous classe mais  pas cette foumi qui par définition même est unique dans son extension mais  possède une infinité de caractéristique dans sa compréhension .

A fortiori pour les hommes qui non seulement sont uniques mais ont conscience de leur unité . Mon voisin c’est un fonctionnaire , donc un exemplaire d’un certain genre , le genre « fonctionnaire »,un maniaque, un bourgeois ,  un catholique, donc un exemplaire de chacun de ces genres . Mais être un fonctionnaire ce n’est  qu’une généralité .  « ce » qui existe c’est quelqu’un d’unique : Bernard Chartier et pour les hommes , cette conscience de l’unicité s’exprima par le choix d’un nom propre et le fait de dire "je". B.Chartier est bien unique en son genre .

La science ne connaît  donc que des essences pas des existences…

La science reste impuissante   à faire de la personne un objet veut dire donc ici que la science ne peut connaître l’être même de Bernard Chartier . Au fond , la science apparaît comme le cinéma , qui juxtaposant des images statiques cherche à rendre compte du mouvement de la vie: il  n'en  reste, au final,  qu'au niveau d' une pâle  imitation . 

La science ne peut donc pas traiter la personne comme un objet , elle n’y parvient pas .

 

Toutefois,  cette impuissance à dire l’être de Bernard Chartier n’exclut  pas une efficacité et un pouvoir sur Bernard Chartier car il est aussi ce fonctionnaire , ce catholique etc .  La génétique mais aussi la sociologie ou la psychologie  ne sont pas de simples sciences classificatrices mais des savoirs ayant une éfficacité visible .

. Connaître les gènes, le comportement des fonctionnaires , des catholiques grâce à des observations permet évidemment d’agir en retour sur les fonctionnaires ,  les catholiques ou les bourgeois . MOUNIER nous rappelle que le savoir est par essence  un pouvoir . C’est la raison pour laquelle le questionnement doit repartir  et réexaminer à nouveau frais cette prétendue impuissance de la science au travers d’une fiction , celle d’Aldous HUXLEY .

 

Troisième moment :

La science n’est-elle en fin de compte capable de traiter la personne en l’homme comme un objet en agissant pour ainsi dire à l’intérieur de l’individu ?

Si l’individu seul existe , s’il échappe à la dimension théorique de la science échappe-t-il à sa dimension pratique et à son efficace ? La science moderne n'est-elle pas beaucoup plus puissante que celle dont on vient de voir les limites ?

Depuis DESCARTES, la science affirme que connaître c'est fabriquer. Dès lors, la réponse de MOUNIER est beaucoup plus inquiétante car bien qu’il soit question d’une fiction , Le meilleur des mondes d’HUXLEY , écrit en 1931 , raconte la façon dont la science et en particulier la génétique et la psychologie parviennent à ôter à l’homme  son humanité en produisant des êtres comme on produit des choses , justement par un traitement approprié de l’individu .

Le traitement prend donc ici un nouveau sens , non plus seulement  un sens théorique mais un sens pratique , grâce à une procédure prévue à l’avance et une rationalisation de la production  . La science impuissante à traiter de l’être de l’homme , de son individualité ,  s’avère paradoxalement redoutable pour modifier son être et le soumettre à ses exigences .

Le conditionnement est une procédure d’apprentissage qui est au centre des théories béhavioristes. Ivan Pavlov, qui l'expérimenta avec un chien, le décrit comme une technique permettant à un stimulus neutre, d'induire une réponse réflexe qu'il n'induit pas naturellement.

Il est au centre de l’œuvre du romancier et permet fabriquer des hommes en fonction des besoins de la société .

Nous sommes donc face à une réponse imprévue et inquiétante mais d’autant plus pertinente qu’à l’époque où E.MOUNIER écrit ce texte , la fiction est devenue réalité et  a tourné au cauchemar en  détruisant - ou au moins en cherchant à détruire-   la personne en l’homme non seulement chez les victimes par un processus de déshumanisation dans les camps mais  surtout chez les tortionnaires eux-mêmes dressés à exécuter des ordres .

C’est pourtant  l’occasion pour MOUNIER de nous donner une définition éminemment positive de la personne  en l’opposant  cette fois –çi à l’individu .

L’individu est bien cette réalité irréductible à la science, que la science ne peut « traiter »  mais c’est aussi et contradictoirement  une réalité singulière et isolée  sur laquelle on peut agir . C’est pourquoi après avoir affirmé que la personne ne peut être objet , MOUNIER rapporte la conclusion du roman à l'indicatif . La science comme pouvoir « fait de l’humanité une immense et  parfaite  pouponnière ». Il ne dit pas comme dans le deuxième moment qu’elle n’y parvient pas , au contraire . Le travail scientifique et technique sur les individus peut engendrer des êtres immatures réduits   à leur individualité biologique, à des « poupons »   incapables de penser par eux-mêmes , et non des être libres et responsables .

A l'époque où il écrit ce texte , l'humanité a pris conscience que l'on pouvait  en effet  avoir ce"projet" , et la réalité , comme toujours,  a dépassé la fiction . MOUNIER ne veut peut-être pas aller jusque là , mais l'histoire peut justifier rétrospectivement cette lecture pessimiste et cette tension  . Le rappel de la dignité de la personne dans la DDHC de 1948 nous suggère a contrario la possibilité de fait d'ôter à l'homme ce qui constitue son essence , en tout cas dans l'intention .

 

Conclusion :

A la question de savoir si le champs de la science est sans limite et  si  l’homme peut être traité  comme un objet , MOUNIER nous répond de façon équivoque . Un tel traitement n’est évidemment pas juste mais à la limite le probléme n’est pas là . Le problème est paradoxalement dans la possibilité de fait .  La personne est - elle en l’homme autre chose qu’une pieuse déclaration d’intention ? MOUNIER affirme la réalité de la personne et sa résistance à l'objectivation d'une science classificatrice . ARISTOTE avait dèjà compris la nature de cette science  : on n’atteint que du général , l'individu échappe à  sa prise  et il y échappe d'autant plus que c'est un individu conscient de lui-même , un sujet porteur de droits .

 Mais la science moderne, issue de la révolution galiléenne et cartésienne , n’ est pas une science qui se contente de classer les êtres , c’est  une science tournée vers la transformation du réel  . Dès lors ,  la science moderne peut,  en fait,  traiter l’homme en objet même si bien sûr elle, à ses yeux,  ne peut le faire en droit . 

Il nous invite à prendre conscience du pouvoir de la science capable d’absorber l’homme dans son monde clos et sans avenir. Une telle menace nous impose en tout cas de penser l’éducation de l’homme comme remède à son conditionnement pour le faire devenir créatif , libre et responsable  producteur d'un univers qui par essence s'ouvre sur l'infini .

 

 

 

 

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9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 12:00

hopper4.jpg Edward HOPPER   Oiseaux de nuit, 1942

 

 

  RQ:  Ce texte , malgré une apparente simplicité et un enjeu qui  nous parle directement ( la liberté )  , pose finalement  de grosses difficultés quand on veut vraiment l'expliquer à des débutants . Il suppose  une connaissance des concepts de l'ontologie et de la métaphysique   : l'être, les principes intrinsèques de l'être  (l'essence, l'existence)  , la maîtrise des principes extrinsèques ( les 4  causes ) ,  sans compter le sens original de l'existence ici et les allusions aux philosophes .  Bref,  mes élèves souffrent et moi avec ! 


 

"Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence -c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir- précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. (…)

Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur; (…)le concept d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel; et Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. Ainsi l'homme individuel réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin. Au 18e siècle, dans l'athéisme des philosophes, la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour autant l'idée que l'essence précède l'existence. (…) L'homme est possesseur d'une nature humaine; cette nature humaine, qui est le concept humain, se retrouve chez tous les hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple particulier d'un concept universel, l'homme (…).

 L'existentialistme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme, ou, comme le dit Heidegger, la réalité humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. (…)"

 

 

 

 

  Nous sommes ici dans un texte de métaphysique  puisqu'il est question de l'être de l'homme . La notion d'être est une notion très difficile à approcher parce qu'il est impossible comme le remarquait PASCAL,  de ne pas avoir une définition circulaire ( une définition circulaire c'est une définition qui utilise le mot à définir dans la définition ) :  l'être: c'est... Quoiqu'il en soit,  l'analyse du concept nous indique   qu'il y a  deux façons de l'envisager . L'être , c'est d'abord ce qu'est une chose , son essence mais le mot   signifie aussi le fait d'être ou l'existence .

  Si les deux principes intrinsèques de l'être sont complémentaires et dans le langage courant inséparables ( François Hollande est le président de la République signifie que FH existe et qu'il a une essence , celle d'être -pour 5 ans- président de la République ) , il n'en demeure pas moins qu'ils sont susceptibles de relations inégales .

La question "qu'est-ce que ? " appelle spontanément une réponse sur l'essence et l'on peut  parfaitement définir une essence sans qu'il y ait une existence : un chiliôgone a une essence , mais pas d'existence .On dit qu'il est possible (non -contradictoire)  tandis qu'un cercle carré  ne saurait jamais parvenir à l'existence parce qu'il est impossible ( contradictoire ) . Quant à Dieu,  son existence est rationnellement déduite de son essence : Dieu , du fait de son essence -la perfection-ne peut pas ne pas exister puisqu'il serait contradictoire d'affirmer que la perfection est imparfaite .  

Bref , dans tous les cas de figures, et a fortiori pour les objets fabriqués dont il est question ici,  l'existence d'une chose serait   conditionnée par son essence .  SARTRE se demande si c'est ainsi qu'il faut penser l'être de l'homme . Quand il est question de l'homme peut-on dire que l'essence prècède l'existence ? Sa réponse est négative et chacun l' a reconnue : chez l'homme,  l'existence précède l'essence .

Le probléme concerne donc l'être de l'homme : chez l'homme l'existence prècède -t-elle ou non  l'essence . Quant à l' enjeu du texte , il est moral et concerne la liberté . Si l'homme n'a pas d'essence déterminée  , il a cependant à la choisir  sans que rien ne le guide .

 

Les moments du texte : (un bon moyen de trouver les moments du texte est de se demander à quelle question l'auteur répond .)

Quel raisonnement suivons -nous pour affirmer que l'essence prècède l'existence ?

Quel raisonnement faisons -nous pour appliquer ce raisonnement à l'homme ?

A quelle condition ce raisonnement est-il valable ?

Que devons-nous conclure si l'une des prémices est invalide ?

 

 

 

Explication :

Quel raisonnement faisons-nous pour affirmer que l'essence précède l'existence ?

 

Ce coupe papier existe , c'est un fait . L'existence fait l'objet d'un constat , il y a ce coupe-papier devant moi qui possède telles et telles caractéristiques . Mais un coupe papier c'est un objet qui n'est pas le produit du hasard , c'est-à-dire  sans cause . Or la considération de ce coupe papier existant présuppose l' antériorité de la conception du coupe-papier , présuppose,  en d'autres termes,  que l'essence et dans le cas d'un objet fabriqué- sa fonction - couper le papier - ait

présidé à sa conception . "la conception précède et règle l'exécution" .Pour un objet fabriqué , la "fin" , ce à quoi l'objet va servir , détermine les moyens : la matière et la forme . Si l'essence du coupe papier est de couper le papier , il est évident que mon coupe papier aura un aspect adéquat et des matériaux susceptibles de couper ...On ne peut imaginer que le hasard fasse surgir un objet coupant . Mais si l'objet existant répond à une fonction qui le précède et l'explique , cette fonction elle-même a une cause . Cette cause c'est celle de la cause efficiente et qui répond à la question : "qui ?". La réponse est aisée puisque  les objets fabriqués  ont une cause efficiente évidente .  C'est bien évidemment l'homme qui est capable de poser des fins, c'est donc l'artisan  qui est la cause ultime de cette recherche  . Ainsi,  si l'on cherche à expliquer l'existence du coupe papier , on tombe nécessairement sur la pré-existence de la cause formelle laquelle présuppose à son tour une cause efficiente: l'artisan .

 

  Quel raisonnement appliquons-nous quand nous l'appliquons   à l'homme ?

 

Reste à comprendre l'intérêt d'un tel exposé  . SARTRE veut nous montrer que nous procédons par  analogie lorsque nous appliquons ce raisonnement à l'homme et à son existence . Nous pensons l'existence de l'homme par analogie (identité de rapport )  avec l'existence du coupe-papier , c'est l'objet du deuxième moment du texte .

 Nous sommes prisonniers d'une vision technique qui nous impose de considérer l'homme , son existence,  par analogie avec l'existence du coupe-papier . De même que le coupe-papier posséde une cause formelle, de même l'homme existant possède une cause formelle, une essence qui lui préexiste et dans tous les cas cette cause formelle est déterminée  par un artisan . Dieu est alors à l'homme ce que l'artisan est au coupe-papier .

Autrement dit , l'affirmation selon laquelle l'essence précède l'existence provient d'une vision technique du monde et impose en effet l'affirmation de l'existence de Dieu .

SARTRE ne réfute pas  directement ici l'affirmation de l'existence de Dieu . La théologie  a au moins le mérite de la cohérence même si le raisonnement analogique est en soi plus faible que le raisonnement déductif   . Mais  avec la preuve ontologique ,  Dieu "lui-même" pâtit   du primat de l'essence . L' existence de Dieu n'est-elle pas nécessaire parce que comprise dans son essence ? Dieu lui-même ne sait pas ce que c'est qu'exister !

 C'est grâce à l'analyse du raisonnement présidant à la thèse selon laquelle l'essence prècéde l'existence que SARTRE va commencer à exposer et justifier sa thèse .

 

A quelle condition ce raisonnement est-il valable ?

 

 Cette thèse ne repose que sur le postulat de l'existence de Dieu . l'idée qu'une essence humaine précède l'existence des hommes n'est valide que si , et seulement si,  Dieu existe , que si la cause formelle est soutenue par une cause efficiente .

  Si l'on supprime la cause efficiente , on supprime aussi la cause formelle et l'idée que l'essence précède l'existence .SARTRE reproche donc aux philosophes des Lumières d'avoir commis une faute logique , de ne pas avoir été conséquent ..

 

Que devons-nous conclure si le raisonnement  est invalide ?

 

Si l'on admet donc que Dieu n'existe pas , on ne peut pas ne pas dire : pour l'homme,  l'existence précède l'essence .

Reste à savoir en effet ce que signifie cette formule .  Que signifie vraiment le mot existence ici ? Qu'est-ce qu'une existence sans essence ou avec une essence qui lui  succède ? A-t-on déjà vu une  chose existante qui ne soit rien ? Une chose qui soit juste là sans qu'on puisse la définir ? Assurément ce n'est pas chose facile et peu de gens sont capables de faire cette expérience . Nous disons constamment que la neige est blanche , le ciel bleu , pas qu'ils existent !

Notre expérience de tous les jours c'est celle de l'essence ! La découverte de l'existence est plutôt une épreuve car elle nous met face à l'étrangeté du monde ; il est si rassurant de définir ce qui nous entoure , si inquiétant de le voir dans sa simple "existence"!  Découvrir non seulement que le monde existe mais que j'existe est une expérience nouvelle et loin d'être le point de départ de toute certitude nous cause mille tourments . On pourrait ainsi parler d'un cogito sartrien menant non pas à Dieu mais au vertige d'une existence injustifiée . 

Ce qui rend possible une telle découverte n'est rien d'autre, c'est le cas de le dire , que la conscience .  C'est par la conscience que l'homme sait qu'il existe . Prendre conscience c'est se mettre à distance c'est se détacher de ce avec quoi on faisait corps , c'est se "dé-prendre " . Prendre conscience du monde c'est se détacher de lui et l'objectiver , être face à lui et l'interroger . Prendre conscience de soi , c'est se détacher de soi , s'absenter et prendre conscience justement qu'on ex-siste . Sistere -ex , c'est  sortir , se tenir hors de et c'est le propre de l'homme . Les choses n'existent pas car elles ne sont pas capables de s'absenter (ab esse, ne pas être ...)  d'elles-mêmes, et par là de se représenter leur existence . SARTRE dit des choses qu'elles "sont",  nous proposant par là une distinction féconde entre être et exister . Elles sont et ne sont que ce qu'elles sont ; elles ont une essence , elles  . L'homme non, du moins l'homme qui accepte de s'interroger et qui ne définit pas le monde et lui-même avant de savoir qu'il existe . C'est une épreuve plutôt pénible  mais c'est le prix de la liberté et de la responsabilité .

Que l'essence ne nous soit pas donnée implique que nous avons à la choisir  et que pourtant notre choix soit sans autre motif que ceux que nous aurons choisis . Si l'existence précède l'essence cela veut dire une fois de plus que le ciel est vide mais que , de façon plus terre à terre,  les conseils que j'écouterai seront ceux que j'aurai ,  de toute façon, décidé d'écouter . En effet, l'affirmation selon laquelle nous n'avons pas d'essence est une autre manière de dire que nous ne pouvons pas ne pas choisir notre essence , car en refusant de choisir nous choisirons de ne pas choisir. Mais ce sera quand même un choix . Nous sommes seuls dans l'univers mais paradoxalement  nous sommes devant la nécessité de choisir sans que ces choix puissent être  susceptibles d'une justification totalement rationnelle .  L'existence s'éprouve , elle ne se prouve pas : SARTRE tire toutes les conséquences morales  de la réfutation de la métaphysique par KANT et si la liberté est une donnée de l'existence , elle ne se connaît que dans ses actes .

 

 

  Conclusion :

Pour parler de l'homme , à quoi faut-il accorder la priorité : à l'essence ou à l'existence ? La réponse de la religion et des discours essentialistes ont  le mérite de la cohérence  mais ce que leur reproche SARTRE est la privation de la liberté . La liberté offerte par l'existentialisme nous propose un chemin escarpé ,qui correspond, semble-t-il ,  aux interrogations de notre époque débarassée pour le meilleur ( et pour le pire?) des réponses toutes faites .

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17 février 2012 5 17 /02 /février /2012 12:53

 

lediamantmemorial-2Mémorial  de l'esclavage au Diamant, Martinique

Photo Patrick Verdier

 

 

 

 

                        Suis-je ce que mon passé a fait de moi ?

 

Lorsque nous considérons la vie des hommes illustres ou même de plus simples mortels , nous avons le sentiment qu’en définitive leur vie s’est déroulée à la façon d’un film dont toutes les scènes avait déjà été écrites . Bref,  leur existence semble s’être déroulée comme un destin dont on ne peut plus modifier le cours   . D’ailleurs , ne faisons pas nous même l’expérience dans nos vies actuelles que les « choses » s’enchaînent , se succèdent,  que nous le voulions ou non produisant ainsi la substance même de ce que nous sommes ? Aussi semble-t-il nécessaire de se demander : « suis-je ce que mon passé a fait de moi ? »

Suis-je le résultat et donc l’effet de ce qui me précède ,  de mon passé ? Mon identité , ma personnalité sont-elles le résidu de mon passé sur lequel , par définition , je n’ai plus de prise puisque justement , c’est passé ?

 N’ai- je donc aucun pouvoir sur moi ? Ne puis-je pas être ce que je veux devenir et non pas ce que mon passé a fait de moi ?  N’ai-je pas d’ailleurs déjà l’expérience que je suis aussi aujourd’hui ce qu’autrefois j’avais projeté d’être ? Et si aujourd’hui je suis ce que je suis , n’est-ce pas le résultat d’un choix initial et d’un pouvoir d’anticipation ? Dès lors, mon  passé n’est-il pas, au contraire, ce que j’en ai fait puisque justement ce passé est comme on le dit le mien ?

Le problème concerne notre pouvoir de décision et d’action ,c ‘est-à-dire l’étendue de notre liberté dans notre existence et plus particulièrement par rapport au temps :  dans quelle mesure le passé sur lequel je n’ai plus de prise et qui me constitue peut-il encore me laisser libre ,  voire être l’objet d’un choix ?

 

 

1 En quel sens peut-on dire que je ne suis que l’effet du passé ?

 

                        1.1 ce que je n’ai pas choisi :

 

a ) le poids de l’hérédité : la couleur de mes yeux , la forme de mon nez …sont déterminées au moins depuis ma conception et ma carte d’identité génétique est d’une certaine mesure encore bien antérieure et  cependant  n’est-ce pas ce qui aux yeux de la science me définit matériellement ?

 

b)le poids de l’héritage social : mes opinions en matière politique et religieuse , mes goûts artistiques  ne sont –ils pas le fidèle reflet de ma classe sociale et des valeurs qui y ont cours ? Les sciences humaines nous montrent en effet que derrière ce que nous pensons être un libre adhésion , il y a toujours la marque d’une origine sociale . Ainsi P. BOURDIEU dans un ouvrage resté célèbre : « la distinction » , révèle que nos goûts culinaires que l’on pourrait penser purement subjectifs , c’est-à-dire ici , singuliers  et personnels s’inscrivent dans des cadres  déterminés par notre groupe d’appartenance . Si mes goûts se portent sur la charcuterie plutôt que sur le poisson , l’observateur pourra presque parier que j’appartiens à un milieu ouvrier .

A l’échelle de l’histoire MARX  montre que les hommes produisent des idéologies , c’est-à-dire des discours permettant de justifier un ordre social ( désordre ?) établi . L’idéologie s’adresse à tous mais cache en fait les intérêts de la classe dominante . La religion permet ainsi de faire accepter au peuple une situation sociale décevante en promettant dans un monde future un bonheur mettant fin à « cette vallée de larmes » ; « la religion est l’opium du peuple » , c’est-à-dire un anesthésiant permettant de supporter  un monde malade . Quel croyant  aurait conscience que des vérités auxquelles il tient tant ne sont qu’un leurre destiné à maintenir un (dés)ordre économique ?

 

c ) le poids de l’enfance : l’homme n’est pas qu’un être biologique et social , c’est aussi un être qui a une dimension individuelle essentielle .   DESCARTES lui-même  sait que « nous avons été enfant avant que d’être homme » et qu’il est bien difficile en fait de s’en arracher même si c’est notre devoir et notre vocation . FREUD ira encore plus loin en disant et en démontrant que « l’enfant est le père de l’homme » , voulant dire par là que nous sommes effectivement déterminés et conditionnés par les événements plus ou moins traumatisants et inconcients que nous avons vécus dans l’enfance . D’ailleurs, le politique lui –même ne considère-t-il pas qu’à 3 ans, mon passé fait  que  je suis   un délinquant potentiel ? Comment ne pas devenir ce que les autres voient en moi , si en plus j’ai 3 ans et que les autres sont grands et que pour cette raison même , je leur fais confiance ?

 

                        1.2 ce que j’ai choisi :

 

De surcroît,  ce qui me semble avoir  été l’objet d’un choix , qui avant d’être choisi n’était que possible , n’est-il pas ce sur quoi je n’ai plus de prise parce que justement , c’est  passé  .  Or si l’on considère le sens du temps, celui-ci s’écoule objectivement du passé au futur en passant par le présent et nul ne peut faire un aller-retour dans le temps , le temps est  irréversible .  N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque chose de troublant à voir que nos choix rétrospectivement prennent  l’allure d’une fatalité ? Le remords et le regret qui sont des états de la conscience expriment parfaitement cette impuissance que nous avons vis à vis du passé et vis à vis de nous –mêmes . Ah si j’avais su !  « j’eusse maison et couche molle . » Ici F. VILLON montre bien que c’est un choix malheureux qui l’a conduit à ce qu’il est aujourd’hui et nulle excuse ne pourra le consoler parce que fondamentalement , c’est le temps passé qui est révolu et définitif  . 

  

 

Transition : Si  je considère que je ne suis que le résultat de mon passé , je n’ai plus aucune marge de manœuvre pour changer  et je suis dé-fini par mon hérédité biologique , mon héritage social et mon enfance à n’être que l’effet de causes qui me précèdent , qui m’expliquent et qui me condamnent à répéter sans fin . ( Qui a bu boira , si ce n’est toi , c’est donc ton frère … ) Qui plus est,  même si j’ai choisi    et que ce choix s’est révélé fautif  je suis réduit à le porter comme un fardeau jusqu’à la fin .

Une telle position est-elle valable ? D’abord dans les faits :  à l’échelle collective , l’histoire n’est-elle pas la preuve que les choses ne se répètent pas mais qu’au contraire il peut y avoir du nouveau ? à l’échelle individuelle  , n’a-t-on pas assisté à la mobilité sociale  à la possibilité d’une conversion et d’une repentance ?    Quant à l’enjeu politique et moral  , peut-on , sans arrière pensée idéologique  affirmer le caractère absolu du déterminisme et du poids du passé : à quoi bon des éducateurs si les choses sont jouées à 3 ans ? Autant payer des policiers ! !

 

2-Ne suis-je pas capable de modifier mon avenir  ?

             2.1 les hommes sont doués de libre –arbitre :

 je peux toujours quelles que soient les circonstances   faire d’autres choix ,  « repartir à zéro » ,  faire table rase du passé , d’ailleurs , le temps qui est souvent mon ennemi , ne m’aide –t-il pas en favorisant l’oubli ? Si le passé est révolu , et que je n’y puis rien , n’est-il pas  juste de faire une « croix dessus ? »

            2.2 pour les hommes , le temps ne s’écoule pas du passé au futur mais du futur au passé :

le temps des hommes c’est le temps de l’action , par conséquent la possibilité de se projeter dans un temps qui n’est pas encore en vue d’une fin et de considérer le présent non comme ce qui vient du passé mais comme ce qui, paradoxalement,  succède au futur et est déterminé par lui comme n’étant que le temps d’un commencement . Il n’y a de commencement que pour un être capable de percevoir une fin . . Si je ne peux effectuer cette projection , je ne peux agir car je me situe toujours par rapport au présent , c’est-à-dire par rapport à l’instant , je ne vis alors que dans l’instant et de ce fait , je ne peux agir , je ne peux que ré-agir sans être capable de subordonner des moyens à une fin , ce qui est pourtant la définition même de l’action . Je suis ce que j’avais projeté d’être ! C’est  donc mon futur qui, à l’époque où il était futur, a déterminé mon   présent !

Certes , tous mes choix ne sont pas heureux , je peux regretter amèrement ce que j’ai fait et dès lors , tel choix qui m’apparaissait libre  et judicieux peut s’avérer désastreux pour mon présent « Eh Dieu , si j’eusse étudier au temps de ma jeunesse folle , j’eusse maison et couche molle , mais quoi je fuyais l’école … » Le célèbre poème de F.VILLON nous montre qu’il est parfois un peu facile de s’excuser , et d’invoquer le déterminisme biologique ou social . Je suis bien souvent le seul responsable de mes actes et n’ai qu’à m’en prendre à moi-même .en  arrêtant  de maudire   les versions  modernes du destin  , mes gênes, la société ou mon enfance . Plus positivement , l’écolier maudit ne peut-il pas devenir un poète immortel , le débauché , un grand saint ? ( st Augustin)

 

 

Transition : l’attitude volontariste permet de  fonder la notion de responsabilité et de renvoyer chacun à ses choix  ,  malgré tout n’est-elle pas  une solution un peu trop simple ?    Suffit-il de vouloir pour pouvoir ? Suffit-il au repenti de vouloir changer pour éviter la récidive ? Les expression populaire qui enjoignent  de repartir à zéro , de faire table rase du passé ne cachent-elles pas l’impossible oubli du passé , son implacable poids   qui aux yeux des autres comme aux siens (et parfois donc aux siens ) fait que vous êtes un délinquant potentiel ? Si on voulait mieux comprendre , on pourrait  prendre  une loupe et considérer par exemple  l’ALLEMAGNE : l’oubli du passé , le désir de repartir à zéro seraient-ils vraiment raisonnables ? Ne serait-ce pas , au contraire le moyen de répéter les mêmes erreurs ? Ne la soupçonnerait-on pas d’avoir toujours ses vieux démons ?

Nous sommes donc en face d’une aporie : d’un côté , on peut dire que nous sommes déterminés et que nous ne sommes que le jouet d’un triple déterminisme assorti du caractère irréversible du temps , de l’autre que nous sommes capables , à tout moment, de changer de cap . D’un côté , nous ne serions pas responsables de nos actes , de l’autre nous n’aurions jamais aucune excuse . Que faut-il penser ? Comment admettre que le passé nous constitue sans nous aliéner ? Comment admettre , par  exemple , que l’ALLEMAGNE  ce soit son passé qui n’est pas celui de la SUISSE     , ni aucun autre  sans qu’on la réduise à son passé  en lui permettant d’écrire , justement ,une nouvelle page ?

 

 

 

3 Mon passé est ce que  mon futur  en  fait  !

 

            3.1 Je ne peux revenir sur mon passé , même Dieu ,  dit ST THOMAS d’AQUIN,  ne peut pas faire que ce qui a été n’ai pas été et la plus mauvaise solution serait de l’oublier .  Oublier son passé , ce n’est pas  faire disparaître  ce serait bien facile . FREUD constate que les névroses et les symptômes psycho-somatiques traduisent la présence inconsciente d’un événement traumatisant qui m’empêche d’avancer . En effet , si j’oublie mon passé , je suis condamné à le répéter sous forme de névroses , de culpabilité ou… de parti néo-nazis . La psychanalyse ou le devoir de mémoire constituent des moyens non pour oublier le passé mais au contraire pour en prendre conscience et s’en détacher , pour qu’il devienne du passé . Il faut se représenter le passé pour pouvoir le dépasser . Si les hommes ont une histoire, c’est-à-dire un avenir  , en tant que peuple comme en tant qu’individu ,  c’est parce que l’on peut revenir sur mon passé et  en approfondir la signification .

 Si l’on prend le cas du passé à l’échelle grossissante des peuples , on peut suivre HABERMAS qui dit que   pour lui   le nazisme n’est pas juste un accident de parcours de l’ALLEMAGNE mais qu’il  fait au contraire partie de façon extrêmement profonde de  la construction de son  identité . l’ALLEMAGNE n’a réalisé son unité politique au 19 ème siècle que par l’exaltation de son identité nationale culturelle , or l’exaltation de la germanité a rapidement signifié la négation de tout universalisme et a ouvert la porte à la négation de l’humanité . HABERMAS pense que c’est l’Allemagne en tant que telle , c’est-à-dire son identité , sa culture qui est la première responsable de la tragédie qu’a connue l’EUROPE . Son projet , c’est de montrer que le nazisme et  l’ALLEMAGNE  sont intrinsèquement liés , Vouloir les séparer c’est s’interdire de comprendre ce qui a rendu possible  la catastrophe du nazisme et donner  la possibilité que cela redevienne possible . Le rôle du philosophe est alors de révéler ces liens pour les éviter en faisant valoir une autre tradition de l’ALLEMAGNE , celle de l’Aufklärung : il s’agit de retrouver une dignité allemande en dépassant l’ALLEMAGNE .

Et en fait , face au caractère irréversible du temps, l' homme peut toujours proposer le pardon , de même que face à son caractère imprévisible, il peut toujours opposer la promesse . cf Hannah ARENDT.

Enfin à l’échelle individuelle , c’est aussi mon futur qui éclaire en fin de compte mon passé et qui lui donne une signification qui n’est jamais achevée . «  C’est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort ... » SARTRE . Si le passé est originellement projet cela implique en effet que le passé n’est pas donné une fois pour toute , le passé est attaché à ma subjectivité et il sera fonction de mes choix d’avenir ,  l’ordre du temps ne sera pas celui de la chronologie , cet ordre sera donc fonction de l’intérêt que je lui porte et de ce que je peux en faire pour mon futur , ainsi il y a le passé toujours vivant , le passé mort , et le passé mort et vivant à la fois ,  le passé toujours vivant , c’est tel engagement d’amour, tel contrat d’affaire ; le passé mort « c’est ce costume que j’achetai à une certaine époque et qui a cessé de me plaire », le passé mort et vivant à la fois c’est le fait que je doive faire des économies et continuer à le porter plutôt que d’être à la mode .

TEXTE :

 

 « C'est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort. Le passé, en effet, est originellement projet, comme le surgissement actuel de mon être. Et, dans la mesure même où il est projet, il est anticipation ; son sens lui vient de l'avenir qu'il préesquisse. Lorsque le passé glisse tout entier au passé, sa valeur absolue dépend de la confirmation ou de l'infirmation des anticipations qu'il était. Mais c'est précisément de ma liberté actuelle qu'il dépend de confirmer le sens de ces anticipations en les reprenant à son compte, c'est-à-dire en anticipant, à leur suite, l'avenir qu'elles anticipaient ou de les infirmer en anticipant simplement un autre avenir. [...] Ainsi l'ordre de mes choix d'avenir va déterminer un ordre de mon passé et cet ordre n'aura rien de chronologique. Il y aura d'abord le passé toujours vivant et toujours confirmé: mon engagement d'amour, tels contrats d'affaires, telle image de moi- même à quoi je suis fidèle. Puis le passé ambigu qui a cessé de me plaire et que je retiens par un biais par exemple, ce costume que je porte - et que j'achetai à une certaine époque où j'avais le goût d'être à la mode - me déplaît souverainement à présent et, de ce fait, le passé où je l'ai « choisi » est véritablement mort. Mais d'autre part mon projet actuel d'économie est tel que je dois continuer à porter ce costume plutôt que d'en acquérir un autre. Dès lors il appartient à un passé mort et vivant à la fois. »

SARTRE, L'Etre et le néant. 

 

 

conclusion :

 Ne sommes-nous que l’effet d’un passé qui nous précède et nous explique ? La réponse de la science est positive mais nous impose d’abandonner l’idée d’une responsabilité de nos actes . Si mes gênes agissent pour moi , si ma classe sociale parle en moi , bref si « ça pense en moi » et que cela agit  à ma place , je suis toujours mis hors de cause . Une telle thèse si solide soit –elle ne permet pourtant pas de penser ce qui fait la spécificité de l’homme : l’homme est un être de projet ou qui pose des fins , comme on voudra ; de sorte que son passé est aussi , même s’il n’est pas seulement , ce qu'il a projeté d’être dans un choix initial . Ainsi ne suis-je pas ce que mon passé a fait de moi mais aussi ce que j’ai fait  de mon passé et continue à faire  de lui .

 

 

 

 

     

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 16:03

Que dire sur l'amour qui n'a pas encore été dit ? Tout semble l'avoir été, du plus insignifiant au plus subtil. Les livres d'amour pullulent, du roman à l'eau de rose à l'essai philosophique le plus rigoureux.

C'est resté, à travers les âges, l'une des préoccupations majeures de l'homme. L'art en a fait sa source d'inspiration et sa quête absolue.

A quoi cela sert-il de toujours rabâcher le même sujet ? "Parlez-moi d'amour et j'vous fous mon poing sur la gueule", disait Brassens. Qu'il me soit permis tout de même, en cette période de Saint-Valentin, d'évoquer cette grande affaire de l'amour.

Je prendrai le point de vue d'un jeune homme ordinaire de 23 ans à qui l'amour n'a jamais réussi et qui se compte déjà parmi les déçus de l'amour. Car de ce que j'ai pu en observer, ma génération - celle qu'on appelle stupidement la "génération Y" (en référence aux écouteurs que nous porterions en permanence autour du cou) - est devenue incapable d'amour.

Pourtant, cette génération avait des raisons de croire en l'amour. Des preuves existaient. Nos parents et grands-parents, pour la plupart, s'étaient mariés et n'avaient pas divorcé. Dans les rues, on voyait parfois des gens s'enlacer sur des bancs publics.

A moins d'une extraordinaire hypocrisie, tout cela paraissait sincère. Adolescents, les chagrins les plus vifs naissaient d'une histoire amoureuse. C'était une époque où la pureté de nos jeunes esprits rendait l'amour possible. Il était inévitable qu'un jour ou l'autre on rencontrerait l'âme soeur et que la vie à ses côtés serait belle et pleine de promesses.

Mais la vie tient rarement ses promesses. Elle est un processus de démolition, comme disait Scott Fitzgerald, qui s'y connaissait. Les ruptures amoureuses, rares ou nombreuses, cassèrent déjà ce beau mythe de l'amour éternel.

Cela dit, on se relevait à chaque fois, le coeur recouvrant un peu de chaleur et se remettant à battre, parce que l'espoir n'était pas tout à fait perdu.

Puis, un jour, ma génération s'est aperçue que l'amour ne serait plus possible. Je vous parle d'un temps que les plus de 30 ans ne peuvent pas connaître. C'est un temps où l'individualisme égoïste et la recherche de plaisir effréné ont tout foutu en l'air. Par peur et donc manque de courage, nous avons tous renoncé à l'amour. Nous l'avons remplacé par la recherche du plaisir, envers et contre tout. Car le plaisir a ceci de pratique qu'il ne s'accompagne pas de sentiments, et que toute souffrance est éradiquée.

Notre environnement a bien sûr favorisé cette conception hédoniste de l'amour. L'accroissement des divorces, la marchandisation de l'amour, la banalisation des relations sexuelles, les réseaux sociaux, les sites de rencontres... tout cela nous a convaincus que croire en l'amour était un écueil dans lequel il ne fallait pas tomber.

On ne mesure pas assez l'importance (récente) de Facebook dans l'effondrement des sentiments amoureux. C'est devenu la plateforme officielle des unions et désunions. Pour décider de la viabilité d'une relation, Facebook constitue un passage obligé. Il suffit d'avoir le nom de la personne convoitée et de cliquer sur son "mur".

On peut y voir  des photos, des caractéristiques personnelles, des amis en commun, autant de signes qui décideront purement et simplement de la suite à donner à la rencontre. Facebook est désormais la plus grande agence matrimoniale du monde. Ce réseau social permet aux personnes de savoir tout de l'autre avant même de l'avoir rencontré. Et participe de l'illusion que toute personne est interchangeable. Il est un formidable accélérateur et destructeur de relations humaines. L'amour n'y a pas gagné.

Aujourd'hui, les jeunes, filles ou garçons, dans leur grande majorité, accumulent les conquêtes, avec pour seule ambition de "prendre leur pied". Dans les soirées, tout le monde sort avec tout le monde. C'est socialement très bien vu de "se taper des mecs ou des gonzesses", par dizaines. Plus besoin de séduction non plus, l'alcool faisant le plus gros du travail. L'histoire ne dure pas plus d'une soirée, car il n'est pas question de se prendre la tête.

On pourra me taxer de cynisme, mais les choses en sont là. La génération qui est la mienne va droit dans le mur, oubliant l'essentiel : l'amour, ce n'est pas des papillons dans le ventre, c'est une affection durable, un engagement sincère. On me qualifiera de ringard, eh bien j'assume. Puisse cette Saint-Valentin ne pas devenir le symbole de cette infernale déliquescence de l'amour.

 

 

article pubié dans Le Monde le 15-02-2012

 

 Pour comprendre qu' EROS n'est pas le sexe , je recommande le salutaire ouvrage d' Allan BLOOM : l'Amour et l'Amitié traduit de l'américain par P.Manent . ed° le livre de poche .

 

 

 

 

 

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 22:04

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Le paradoxe de la cruauté    par Serge JODRA

 

 

La cruauté ne peut-être qu’humaine , car nous sommes les seuls à pouvoir nous représenter la souffrance et la mort .

 

 

La cruauté est une affaire d’hommes. Lorsque la chatte du spécialiste de l’éthologie humaine Boris Cyrulnik broie l’arrière train d’une souris, alors qu’elle n’a visiblement  l’intention de tuer sa victime pour s’en nourrir, elle exerce,du simple point de vue de cette nécessité admise qu’est manger pour vivre, une violence inutile, une violence en plus. On ne songe cependant pas à parler de cruauté.Comme le soutient en substance le chercheur, le sentiment même de violence est ici absent. Car pour qu’il apparaisse, il faudrait que la chatte puisse se représenter le monde de la souris, qu’une communication permette la contagion des émotions et des idées .

Nous autres humains, au contraire, sommes capables de nous forger une « théorie de l’autre », pourvu que nous le reconnaissions suffisamment semblables à nous .nous sommes parvenus à nous représenter les représentations de l’autre . Et cette dans cette empathie que s’enracine le paradoxe de la cruauté : pour que celle-ci puisse s’exercer, il nous faut partager quelque chose avec notre victime.Nous ne pouvons nous montrer cruels qu’avec nos proches

Quand nous croquons dans une feuille de salade, quand nous avalons une huître vivante , nous n’envisageons pas cela comme une violence, et encore moins comme un acte cruel. En revanche , tuer ou faire souffrir un animal dans lequel nous reconnaissons une certaine proximité ( un mammifère , par exemple)peut s’avérer assez compliqué. Chacun projetera en lui ses propres émotions, selon sa nature, son histoire personnelle ou sa sensibilité. L’un se résoudra peut-être à n’être que végétarien, un autre admettra que l’on tue un taureau dans un abattoir mais réprouvera la corrida, enfin un troisième pourra voir dans le spectacle des arènes une liturgie sublime , mais sera répugné à l’idée que l’on massacre les bébés phoques…

Quant à ce qui est d’infliger souffrance ou mort à d’autres hommes, cela semble impossible tant que nous nous représentons autrui comme un autre nous-même. L’histoire est pourtant pleine de guerres et de tueries . Dans le cas des guerres civiles, en particulier, comment  comprendre que des gens qui hier s’entendaient parfaitement, aujourd’hui s’entre-tuent entre voisins et parfois entre parents ? Il doit bien exister quelque part quelque artifice

Capable de contourner la difficulté .

En appeler , à la suite de FREUD , à des « pulsions de mort » chez l’Homme, et auxquelles les circonstances permettraient de se déchaîner semble insuffisant. De même , tous les assassins ne sont pas des « cas psychiatriques » ? Le nazisme n’est pas apparu à l’occasion d’une génération spontanée de tueurs pathologiques en Allemagne. Pas plus que le Cambodge des Khmers rouges n’a été décimé parce qu’il se serait soudain vu investi par une coalition de sadiques, réunis sous une même bannière .

En fait, la cruauté, loin d’être un débordement incontrôlé de violence, apparaît toujours comme faisant partie intégrante du programme des tueurs. Son administration révèle des constantes. Tout se passe en effet comme s’il s’agissait d’appliquer une séquence de gestes et de paroles puisant dans un registre bien défini-_ ce qui conduit souvent les tueries à revêtir les atours d’une ritualisation –et dont l’objectif final est la destruction physique ou psychologique de l’autre.puisqu’il semble plus simple psychologiquement , et en tout cas « moins illégitime » de tuer un animal ou une chose, les tueurs cherchent donc d’abord à changer le statut de leur victime.

Ils commencent par altérer la représentation qu’ils s’en font en la déclassant d’une manière ou d’une autre . Le prochain doit être transformé d’abord symboliquement , puis dans les faits , en lointain . Un cercle vicieux dans lequel raison s ‘embourbe, en réalité, puisque l’objectif du programme de la cruauté est de justifier sa mise en œuvre .Parfois, la seule existence du rite , c’est-à-dire d’un « respect des formes », semble d’ailleurs le seul mode envisagé de légitimation de l’administration de la violence. C’est apparemment le cas ans les courses de taureau aussi bien que dans les simulacres de procès chers aux régimes totalitaires.

A propos des pratiques observées dans les camps d’extermination nazis, l’écrivain Primo Levi pouvait ainsi dire qu’il ne s’agissait « pas seulement de mort, mais d’une foule de détails maniaques et symboliques, visant tous à prouver que les juifs, les tziganes, et les slaves ne sont que bétail, boue, ordure » .L’actualité récente n’en finit pas de fournir des exemples procédant d’une même démarche . Daniel PECAUD décrit en ces termes les gradations dans l’administration de la terreur observée lors de la première vague de violence qu’ à connue la Colombie, au milieu du siècle : « Annoncer la mort par des messages écrits, battre l’adversaire avec la face plate de la machette pour donner un avertissement, la faire assister aux services infligés à sa famille, l’abattre » .Une  séquence devenue coutumière et que l’on constate, même si c’est avec des expressions différentes, aujourd’hui encore dans le pays. La logique de la déclaration visée est toujours la même : quelqu’un qui a peur, en effet, « n’est pas un homme »(castration symbolique) ; de plus, avoir peur revient aussià "se faire sur soi », et donc à devenir porteur d’une souillure.

Egalement placées sous le signe de la souillure, les exactions dans l’ex-Yougoslavie, menées dans ce que la propagande a appelé  la »purification ethnique », et qui a consisté en une campagne de viols systématiques des femmes appartenant au camps des vaincus.le viol ne vise pas la destruction de la personne physique, mais de la personne morale et sociale. Il a des visées de meurtre symbolique Comme le relève Véronique NAHOUM_GRAPPE,il « constitue un cas particulier de crime où l’infamie est porté par la victime ».

 

En soi,il est donc déjà un mode de déclassement de l’autre.Forcées de mener à terme leur grossesse, les femmes « souillées », niées en tant qu’êtres humains, n’ont été alors considérées que comme un simple support biologique destiné à mettre au monde des enfants « de l’autre religion ».

Même constat avec le mise en place des camps de concentration, où l’on parque pour les rendre « repoussants et hideux » ceux que l’on veut désigner comme haïssable. « Tout letravail du faiseur de génocide, poursuit la sociologue, consiste à inscrire dans la réalité sa lecture de l’autre, sale, repoussant, avili, bestial puisque recouvert  de ses excréments : seule la cruauté, et son programme, peut effectuer son travail sur le corps de l’autre ».

Au Rwanda, lors du génocide desTutsis par les Hutus, comme dans l’ex-Yougoslavie, on a forcé des parents à tuer leurs enfants,des maris à tuer leurs épouses. Là encore, le propos était clair : il s’agissait de faire exprimer aux victimes leur propre inhumanité. Un père qui tue ses enfants n’est pas un homme véritable. Il ne mérite pas de vivre.

Telle apparaît l’étrange logique génocidaire. De plus,ici, les mises à mort ont souvent été précédées du sectionnement des mains et des pieds à coup de machette . Parfois, on s’est contenté de trancher les tendons d’Achille. Explications donnée par les tueurs : il s’agissait de « raccourcir » les Tutsis, que la  propagande définissait comme plus grands que les Hutus.

En fait, Hutus et Tutsis appartiennent à une seule population, brassée génétiquement et ne peuvent donc se distinguer par de telles différences physiques.Comme le note Françoise HERITIER, l’objectif véritable des assassins était plutôt de « rendre inertes, impuissants, rabattus à l’état de végétal immobile, ceux que l’on craint comme ennemi ». une fis de plus, donc,c’est à  la transformation symbolique d’un homme en autre chose qu’un homme que l’on a procédé afin de pouvoir le tuer.

C’est à cela que servirait dons cette violence en plus qu’est la cruauté. Et c’est d’ailleurs ce que reconnaissait l’ancien chef du camp de Treblinka quand, interrogé sur le sens qu’il donnait aux humiliations et aux sévices subis par les victimes appelées de toute façon à périr, il expliquait qu’il s’agissait de « conditionner ceux qui devaient exécuter matériellement les opérations. Pour leur rendre possible de faire ce qu’il faisaient » . Une manière cynique de signifier que les tueurs aussi sont des êtres humains, mais qui place surtout en pleine lumière tout le paradoxe de la cruauté. Rapportant  les propos de l’ancien commandant nazi, Primo LEVI ajoute : « Soit dit en d’autres termes ; avant de mourir, la victime doit être dégradée afin que le meurtrier sente moins le poids de sa faute. C’est une explication qui  ne manque pas de logique, mais qui crie au ciel : c’est l’unique utilité de la violence inutile. »

 

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 22:36
 

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Sigmund FREUD  Introduction à la psychanalyse Ch 18

 

 

 

 

Dans le cours des siècles, la science a infligé à l'égoïsme naïf de l'humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c'est à eux que semble échoir la mission d'étendre cette manière de voir avec le plus d'ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l'expérience et accessibles à tous. D'où la levée générale de boucliers contre notre science, l'oubli de toutes les règles de politesse acadé- mique, le déchaînement d'une opposition qui secoue toutes les entraves d'une logique impartiale. Ajoutez à tout cela que nos théories menacent de troubler la paix du monde d’une autre manière encore, ainsi que vous le verrez plus loin .

 

 

Il faut et il suffit que l’explication précise du texte rende compte du problème philosophique dont il est question

 

 

 

 

 

 La doctrine de FREUD est aujourd’hui bien connue , elle consiste à refuser  l’identité du psychisme et de la conscience : « l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime » afin d’expliquer certains faits et surtout de soigner certaines pathologies .(thème)

Dans ce texte , FREUD ne cherche pas à démontrer la validité de sa thèse, qu’il considère comme acquise ,    mais  à montrer que ceux qui contestent  son hypothèse   n’usent pas d’arguments rationnels car ils ne font qu’exprimer  des préjugés , des « résistances » liés à un  obstacle épistémologique de taille : l’orgueil de l’homme  ( intention et thèse)

Pour étayer sa thèse , il montre que la psychanalyse s’inscrit dans un parcours exceptionnel , celui des découvertes scientifiques majeures dont l’impact a toujours été directement de rendre l’homme plus modeste . Ainsi  sa doctrine  ne déroge pas à la règle ,  et,   la contestation totalement illégitime prend, dans ce cas de figure ,  une allure belliqueuse : « c’est une levée de boucliers »   due au fait que la psychanalyse dans son objet  et dans la facilité de sa vulgarisation  achève de révéler l’insignifiance de l’homme .

Ce texte pose une série de questions : la science  a-t-elle une mission ?     Si oui, cette mission consiste-t-elle à nous révéler notre modestie , c’est-à-dire , en fin de compte  à réduire non seulement les prétentions de l’homme mais l’homme lui-même dans ce qu’il a de plus fondamental , la pensée et la maîtrise de lui –même ?

La critique des objections est-elle valable , n’y a-t-il pas un cercle vicieux à réduire toute critique à l’expression d’un malaise psychologique ? La psychanalyse peut-elle légitimement s’inscrire dans la lignée des grandes révolutions scientifiques ?

Le problème de ce texte  est double , il concerne le sens de la science et la scientificité de la psychanalyse .

 

Les étapes du texte sont les suivantes :

FREUD fait d’abord le bilan objectif  des acquis majeurs de la science tant du point de vue de ses découvertes que de son impact sur l’orgueil humain  ( du début jusqu’à  « contemporain ») Il précise ensuite que si sa doctrine, « le troisième démenti » suscite une   critique irrationnelle et violente , c’est d’une part, parce qu’elle s’inscrit dans la « mission »de la science en général et d’autre part parce qu’elle accomplit avec encore plus de force celle-ci (thèse )

 

 

EXPLICATION

 

1 – FREUD commence par l’exposé d’un bilan  historique et moral des découvertes majeures de la science. Il s’agit donc pour lui  de prendre du recul , « dans le cours des siècles », sur les polémiques et l’actualité trop passionnée  mais aussi de prendre pour caution « la science » afin de légitimer son propos .

 En quoi consiste donc ce bilan et ces acquis de la science ?

Curieusement,  « la science » en apportant  des découvertes positives apporte aussi son lot  de  désillusions .Elle consacre  la fin  du géocentrisme et de l’anthropocentrisme ,  qui ne sont que des manifestations métaphoriques  de  « l’égoïsme naïf » des hommes,   non pas tant à une  méchanceté  voulue qu’à une ignorance  subie et à une attitude infantile . C’est l’enfant , en effet qui s’imagine que le monde tourne autour de lui car il n’a pas encore pris conscience de ses propres limites .

Ainsi les découvertes qui sont à l’origine  de cette prise de conscience ne sont pas anodines , elles correspondent aux révolutions  théoriques , c’est-à-dire  aux découvertes qui ont imposé à la fois  un progrès mais surtout un rupture avec les théories antérieures  spontanées     .

 

La plus  célèbre de ses découvertes a mis fin au géocentrisme  c’est-à-dire à une doctrine  correspondant  à la vision  immédiates que nous avons du monde  et du mouvement apparent du soleil . L’héliocentrisme  impose une première blessure narcissique et nous fait comprendre aisément d’où provenait notre erreur qui était justement une illusion . Illusion liée  à la confusion de la perception que nous avons du réel avec le réel  même . Le refus de l’Eglise semble aujourd’hui totalement absurde y compris pour les croyants  . « Et pourtant elle tourne » a répété GALILEE et il avait raison : on ne  peut refuser la vérité scientifique sous peine d’être condamné à l’obscurantisme mais on comprend que   la science pour FREUD ce n’est pas  ce qui révéle notre puissance mais au contraire ce qui paradoxalement révèle notre « insignifiance »  dans l’univers et c’est pourquoi elle rencontre l’obstacle le plus fort qui soit au progrès de la science : le désir d’être au centre de l’univers .

 

La seconde révolution scientifique,  à son tour , a engendré un progrès considérable et de notables avancées mais le propos de FREUD n’est pas là : DARWIN  aux yeux de FREUD n’est pas tant le fondateur de le biologie que le fossoyeur  de la théorie créationniste et d’une vision anthropocentrée . D’ailleurs ce n’est pas tant ici l’existence de Dieu  que l’origine  divine de l’homme qui est ici réfutée  et la parenté avec l’animal qui est confirmée    , c’est pourquoi plus encore que pour la révolution  copernicienne , la révolution darwinienne suscite-t-elle des « résistances » c’est-à-dire un refus irrationnel   de cette découverte   ; c’est cette résistance encore d’actualité à l’époque de FREUD qui trahit  justement la validité de cette théorie . N’être plus au centre de l’univers , c’est une chose , n’être que le produit  des lois de l’évolution naturelle , c’en est une autre et les résistances  n’en sont que plus « acharnées ».

 

Le bilan réflexif de ces découvertes permet à FREUD de montrer que si sa théorie est nouvelle,  les critiques, elles ,    ne le  sont pas  , elles ont toujours le même fonds  : la résistance exprimant la mégalomanie . La mégalomanie est une maladie de la personnalité qui consiste dans la folie des grandeurs . On peut donc remarquer que la résistance qui n’exprime chez les adversaires de COPERNIC qu’un « égoïsme naïf » se métamorphose avec la doctrine de FREUD  en pathologie mentale inquiétante .

Mais pourquoi  la psychanalyse plus encore que les révolutions copernicienne et darwinienne suscite –t-elle la  guerre ?

Si la psychanalyse suscite tant de résistances , c’est d’une part parce qu’elle étend la mission de la science , c’est-à-dire l’appel à la modestie de façon encore plus nette . En effet , en affirmant que l’homme n’est pas au centre de ses pensées mais que « ça pense » en lui  FREUD ne fait qu’achever, dans tous les sens du terme (finir et accomplir) l’œuvre de la science .On ne voit pas en effet ce qui pourrait encore subsister  de prétentions humaines  avec un tel coup porté à ce qui restait de son privilège : la pensée . La psychanalyse achève donc l’œuvre de la science en ce sens que la maladie egocentrique de l’homme est dévoilée dans son plus ultime refuge . L’homme doit accepter qu’il n’est ni au centre de l’univers , ni au sommet de la création , ni au centre des ses pensées .

Mais d’autre part le danger représenté par la psychanalyse est la facilité avec laquelle elle se diffuse : nul besoin de faire de savant calcul , nul besoin de faire de lointain voyage ou de lire d’ardus commentaires , ses matériaux sont empruntés à l’expérience et accessible à tous .

C’est là que  réside en fin de compte la force de la psychanalyse et son pouvoir dissolvant .

Tant que la science s’adresse aux savants , elle peut être embarassante mais pas dangereuse .En revanche, quand la science et ce qu’elle dit de l’homme se démocratise , c’est tout l’ordre social qui risque d’être ébranlé .En  montrant que l’inconscient, constitué du refoulement de nos pulsions  détermine nos pensées mais aussi les plus importantes productions culturelles humaines , la religion , l’art  , c’est bien le fondement même de la société voire  de l’humanisme qui se trouve décrédibilisé . L’homme n’est pas un être  part de la nature , il est tout entier nature .

Or tel est bien le pouvoir de la psychanalyse  et c’est pourquoi la critique se déchaîne « oubliant  toute politesse académique » , c’est-à-dire toute discussion rationnelle  et en engendrant « une levée de boucliers » . C’est aux yeux de FREUD cette virulence même qui prouve le caractère scientifique de sa démarche   : si la science en général tend à détruire nos illusions , comme la psychanalyse détruit nos illusions , c’est qu’elle est scientifique et elle l’est d’autant  plus que ses critiques sont « déchaînées ».

 

 

COMMENTAIRE

 

FREUD se demande pourquoi la psychanalyse suscite tant de résistance , il répond en disant que la psychanalyse , comme tout science  en général  détruit les prétentions de l’homme  et que la psychanalyse en particulier donne un coup fatal à ce qu’il nomme la mégalomanie des hommes . La thèse de FREUD est d’ailleurs extrêmement équivoque puisque c’est la puissance théorique de la science, œuvre ô combien humaine ,  qui devrait engendrer une modestie mais de quoi parle –t-il au juste ? L’anthropocentrisme de l’homme naïvement exprimé dans le géocentrisme  et le créationnisme ne sont-ils que de l’égoïsme infantile susceptible d’engendrer guerre et terreur ou l’expression maladroite que l’homme a une valeur infinie qui s’exprime dans l’humanisme ? La tâche de la science est-elle de détruire la naïveté des hommes ou l’humanisme même qui fait de l’homme le centre de toutes les valeurs ?

 Peut-on parler d’ « une mission » incitant au « recueillement »  , de la science sans tomber à son tour  dans une vision quasiment religieuse de la science que l’on appelle communément le scientisme ? Le scientisme consiste en effet à dire que tous les problèmes philosophiques et moraux  seront un jour résolus par la science .  N’est –ce pas précisément ce qu’affirme FREUD ici ? Or les questions sur notre destinées , notre place dans l’univers sont –elles à ce point résolues ? D’ailleurs , la science n’aurait-elle pas plutôt aujourd’hui le sens d’une plus grande modestie quant à ses capacités ? la science d’aujourd’hui beaucoup plus puissante qu’au temps de FREUD ne peut répondre aux questions métaphysiques de l’Homme parce qu’elle n’a plus cette prétention , elle se contente de répondre à la question « comment » et non plus au « pourquoi » le monde , l’homme .

A la limite même, sa puissance va de pair avec son impuissance à ce niveau  et force est de constater que le désenchantement du monde  a provoqué quelques crises .

 

On peut d’ailleurs comprendre ainsi la réfutation que POPPER adresse à FREUD  concernant la scientificité de la psychanalyse : une science véritable doit pouvoir accepter la mise à l’épreuve et ne pas se prendre pour un absolu . 

 

           

 

          

 

 

 

 

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 09:22

 

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« Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. Mais, qu'est ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu'elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent: conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur: elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé; elle peut ne tenir que ce qui vient d'arriver; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l'inconscience? Quand Leibniz disait de la matière que c'est "un esprit instantané", ne le déclarait-il pas, bon gré, mal gré insensible? Toute conscience est donc mémoire, - conservation et accumulation du passé dans le présent. Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment: vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L'attention est une attente , et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est la; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui: cette traction ininterrompue , qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir. Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite , purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir; il peut être à la rigueur conçu , il n'est jamais perçu; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur notre avenir nous sommes penchés: s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir

 

 

 

 

 

 

Correction du texte de H.BERGSON  extrait de «  La conscience et la vie » 1911 (de l'énergie spirituelle)

 

 

Dans ce passage , BERGSON veut nous montrer que la conscience (thème) loin d’être un concept que l’on pourrait définir , une chose dont on pourrait dégager l’essence est d’abord l’objet d’une expérience « constante »    , subjective, mais néanmoins universellement partagée . C’est pourquoi la question que se pose BERGSON n’est pas vraiment « qu’est-ce que la conscience ? » qui renvoie à la question de l’essence mais  plutôt : « comment nous apparaît-elle ? ».

 Sa réponse consiste  non  pas  en une définition abstraite mais une description  concrète  dans laquelle le temps joue un rôle majeur . Aucune expérience ne s’effectue hors du temps mais BERGSON ne fait pas du temps un simple attribut ou caractère de la conscience , il en fait l’essence même ou l’étoffe . Dire que la conscience perçoit « une certaine épaisseur de durée » ( thèse), c’est dire qu’elle synthétise , fait fusionner les parties du temps (passé, futur),  que notre intelligence a séparées et mathématiquement   « dé-finies ».  L’ incapacité de la conscience à percevoir l’instant présent ne serait pas un défaut de la conscience mais au contraire révèlerait que seule la conscience et non les instruments de mesure issus de l’intelligence analytique seraient capables de se représenter le temps comme flux continu .  Il y aurait donc un temps présent conçu comme une succession d’instants séparés et un temps présent perçu comme une quantité indivisible : seul celui-ci serait le temps perçu la conscience et le temps véritable .

 Le  problème posé par le texte est donc celui-ci : comment définir  ce qui échappe à toute définition ? comment penser la conscience , le temps , la vie elle –même sans en faire des choses abstraites et fausses ? Les arts, la littérature , la musique  ne sont-ils pas plus appropriés que la philosophie ou de façon générale la pensée diviseuse, pour dire toutes ces choses ?

 

Ce texte présente trois parties distinctes : La première partie de « qu’est-ce que la conscience ? à… trait le plus apparent », BERGSON énonce son projet et sa méthode .Dans la deuxième partie , BERGSON décrit successivement et au fond contradictoirement les traits de « cette chose présente » qu’est la conscience : conscience signifie mémoire et anticipation .A ce stade , il s’agit surtout d’une description quasi psychologique .

Dans la dernière partie : « Retenir ce qui n’est pas encore(… )  , jusqu’à la fin du texte BERGSON dégage la raison de son choix méthodologique  initial : la conscience ne peut être définie, elle a une fonction  celle de percevoir   une durée , c’est- à-dire d’un temps qui  n’est pas divisible en instants successifs et qui explique que nous soyons capables de souvenir et d’attention .

 

 

 

 

L’explication

1ére partie :

BERGSON  commence par une question traditionnelle qui porte sur l’essence de la conscience . La question de l’être d’une chose  est véritablement philosophique car il s’agit en posant cette question à la fois de dépasser la multiplicité pour dégager un concept mais à la limite aussi de dégager l’être derrière les apparences confuses . L’exigence de définition est donc essentielle .Pourtant , BERGSON élude cette question en faisant appel à l’expérience de chacun   . Il ne    va pas définir la conscience car la définition impose un passage à l’abstraction incompatible avec sa dimension prétendue concrète . Définir impose une démarche analytique qui consiste à ramener le complexe au simple . Or   la conscience serait une « chose » c’est-à-dire pas une idée ou un concept  et elle serait concrète c’est-à-dire d’une certaine manière accessible à tous mais d’un autre côté ce serait une chose complexe , composée de divers éléments que l’on ne peut séparer .Etymologiquement , le concret désigne ce qui est formé par agglomération et qui se trouve donc à l’opposé de simple ; La conscience est donc effectivement une chose concrète , complexe mais certainement pas une chose matérielle ni une chose décomposable en éléments simples .Une définition  ne serait donc pas une méthode adéquate pour approcher la conscience . Comment alors approcher cette « chose » si fragile que la définition détruit et dénature en séparant les éléments qui la compose ? Il faut donc maintenir cette diversité et cette complexité dans une approche moins dissolvante : la description de ce qui apparaît peut sembler appropriée à cet « objet » car la description s’attache justement aux apparences et ne cherche pas à ramener à l’unité d’une idée ce qui par nature est complexe . La méthode étant choisie , BERGSON va donc décrire ou « caractériser «  cette chose » dans toute sa diversité et complexité .

 

C’est l’objet de la deuxième partie :

  « Conscience signifie mémoire » , cette formule veut dire que la mémoire est l’autre face de la conscience , comme le signe est indissociable de son sens . La mémoire est une faculté de l’esprit humain qui peut varier d’un individu à l’autre mais elle ne peut être totalement absente sans que la conscience ne disparaisse .En quoi la mémoire nous permet-elle de mieux approcher cette « chose concrète » qu’est la conscience ? En quoi la conscience renvoie-t-elle à la mémoire ?   La conscience doit conserver son passé  et ne pas se fondre dans la fuite du temps sans mourir comme conscience . Les historiens le savent bien :un peuple qui n’aurait pas   la conservation de son passé dans l’histoire ne saurait pas qui il est ni d’ailleurs où il va.   Et ce qui est vrai des peuples l’est aussi des individus .    Même s’il ne s’agit que d’un très bref moment, comme le suggère l’auteur : si en lisant une phrase j’oublie la phrase précédente, je perds le sens . Si, en lisant un mot   j’oublie la syllabe précédente , je ne sais plus ce que je lis car le sens implique une liaison entre les syllabes pour faire un mot , entre les phrases pour faire un roman entre les époques pour faire une histoire qui ait du sens et qui nous relie au passé .  Si je ne fais pas ce lien avec ce passé, même le plus proche  , je ne sais pas ce que je lis voire qui je suis . Un enfant qui annône, c’est-à- dire qui décompose le sens d’un mot ou d’une phrase dans ses éléments purement matériels ( phoniques) est incapable de dire ce qu’il a lu !   Mais qu’est-ce qui fonde ces vérités psychologiques ? C’est parce que la mémoire elle-même ne peut se comprendre sans la conscience .   BERGSON à ce stade du texte ne le dit pas et ne le précise pas mais l’histoire ce n’est pas plus une succession   d’évènements , qu’une phrase n’est une succession de mots et un mot une succession de phonèmes bien qu’il n’y ait pas d’histoire sans événement , de phrase sans mot etc ce ne sont pas les choses qui sont liées , c’est la conscience qui les relie. Autrement dit , si la conscience est mémoire c’est parce que la mémoire elle-même est conscience ; une mémoire sans conscience serait une mémoire qui confondrait le passé et le présent un peu comme une cicatrice qui est présente sur le corps et n’existe qu’au présent alors qu’elle  renvoie à un événement passé .Pour qu’il y ait passé , il faut qu’une conscience se le re-présente et qu’elle-même si situe clairement au présent .

 

Mais la conscience est aussi  tournée vers l’avenir, n’oublions pas que  BERGSON   cherche à caractériser l’intuition que nous avons de nous- mêmes or nous ne pouvons être conscients sans que nous soyons tournés vers l’avenir . Cette ouverture au futur pourrait presque définir la conscience et même plus que la mémoire puisqu’elle est   le propre de l’intelligence :  L’attention est une attitude volontaire qui implique une tension de l’esprit qui cherche à deviner la vérité en même temps que le celui qui l’énonce .L ‘élève attentif n’est-il pas celui qui parfois finit les phrases du maître ? De surcroît , c’est parce que l’homme se représente l’avenir  qu’il peut agir : l’animal n’agit pas , il réagit parce qu’il est incapable de se projeter vers le futur .Comment   un animal  pourrait –il se représenter une chose qui n’existe pas encore (donc un néant !) ce qui est pourtant la définition même de l’avenir ? L’action implique que   l’on soit capable de penser logiquement la fin avant les moyens . La conscience a donc une certaine maîtrise du temps car l’action implique évidemment l’intervention de la liberté .

Pourtant , à ce stade, BERGSON ne fait que caractériser  successivement, analytiquement, et somme toute statiquement  ce que la conscience perçoit comme un tout  .C’est de cette continuité même du temps qu’il est question dans le dernier paragraphe qui contient la véritable expression de la thèse de BERGSON :

La 3 ème partie :

La vérité de la conscience c’est précisément cette saisie dynamique de ce qui n’est plus et  de ce qui n’est pas encore . Cela veut dire d’abord que le passé et l’avenir qui était analysés comme séparés sont en fait perçus en MEME temps .   Autrement dit , si on ne pouvait définir la conscience , c’était parce que la conscience ne saisit (perçoit)  pas le temps comme une succession mais comme une durée, c’est-à-dire comme une mélodie où les moments du temps s’interpénètrent . C’est à cette condition que nous pouvons percevoir, en effet, une mélodie : si nous ne percevions que le son au moment où il est joué , assurément nous n’aurions guère l’idée de la musique et pourtant , objectivement, chaque note est jouée l’une APRES l’autre  .

              Mais cela veut dire aussi que le passé et le futur ne sont pas . Ils n’ont aucune existence : il ne faut pas confondre le temps qui passe et les choses qui sont dans le temps et qui sont toujours au présent : il n’y a de passé que représenté pour une conscience ; quant à l’avenir comme c’est un temps qui n’est pas encore il n’a pas plus de réalité encore moins même que le passé.

Ce dernier a au moins pour lui de ne pouvoir être modifié par l’homme ; l’avenir est effectivement le temps de la liberté . Si donc l’homme est   dans le temps ,comme toute chose ,   il est aussi hors de lui dans la mesure où il se le représente .

Dès lors,  ce que nous dit BERGSON c’est qu’il ne faut pas confondre le temps perçu par la conscience qui est le vrai sens du temps et le temps conçu par l’intelligence analytique . Le temps est un objet bien difficile à saisir puisque justement ce n’est pas une chose mais une dimension où sont les choses , y compris nous ; de même l’espace .  Le temps objectif c’est le temps défini par une succession d’éléments indivisibles que l’on appelle des instants . L’instant serait un moment du temps ,le plus petit élément, mais qui ne serait pour la conscience qu’une fiction , une construction intellectuelle commode certes pour mesurer le temps mais finalement fausse parce que l’instant tel le point géométrique qui n’a pas de dimension , n’a aucune durée … « ce n’est que la limite purement théorique qui sépare le passé de l’avenir ».   Pour mesurer le temps  on mesure en effet en un espace parcouru par un mobile dont le mouvement est supposé uniforme , par exemple l’espace parcouru par le mouvement d’une aiguille .En fait on fait comme si le temps c’était de l’espace c’est-à-dire une quantité divisible à l’infini , une matière parfaitement homogène et définissable . Or le temps de la conscience est  un temps qualitatif où les parties s’interpénètrent  . BERGSON fait donc du temps vécu ou perçu comme l’on veut, (ce qui compte c’est que l’on ait compris qu’il est indivisible c’est-à-dire concret , complexe, ) l’ESSENCE même de la conscience  ou mieux : « le propre d’un être conscient » , la conscience étant toujours incarnée dans un être particulier , dans un être sentant et vivant .

 

 

Ce texte pose le problème des limites de la pensée conceptuelle quand il est question d’approcher ce qui échappe à notre intelligence simplificatrice comme la conscience, le temps ou la vie même . En effet , l’intelligence consiste à identifier , à ramener le complexe au simple , l ‘esprit à la matière, le vivant à du mécanique . Ce à quoi nous invite ici BERGSON ce n’est pas à renoncer à la rationalité, à l’effort pour penser  mais à renouveler nos méthodes quand nous voulons avoir l’intelligence de certains « objets » dont l’essence, le tout,  ne se réduit pas à la somme des parties . On pourrait cependant penser que l’art , la littérature et, en effet, la musique sont plus aptes qu’une définition à les  saisir , c’est-à-dire , à percevoir et surtout à communiquer cette dimension de la vie .

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